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ANNALES DU MUSÉE GUIMET
s’aidant de la traduction d’Anquetil, il fut surpris de voir que cette traduction n’éclairait point le texte et qu’il lui était impossible d’entrer dans le sens de l’un avec le secours de l’autre. Un examen suivi de l’œuvre d’Anquetil lui en révéla bientôt toute l’insuffisance. Il avait manqué à Anquetil pour donner une traduction fidèle de l’Avesta, deux instruments indispensables. D’une part, ses maîtres parsis eux-mêmes connaissaient mal et le zend et le pehlvi, c’est-à-dire la langue dans laquelle, au moyen âge, les docteurs de la loi avaient traduit et commenté le livre sacré ; par suite la tradition qu’Anquetil recevait de leur bouche, étant insuffisante en elle-même, faussait son œuvre dès le principe. D’autre part, il lui manquait le secours puissant de la philologie comparée : le sanscrit était inconnu, de sorte qu’il se trouvait emprisonné dans la tradition fautive de ses maîtres, sans issue pour en sortir. Il avait d’ailleurs peu d’aptitude et de goût pour l’analyse grammaticale : il était comme tout son siècle, comme son adversaire William Jones, préoccupé avant tout des idées et du fond et ne savait pas encore que la connaissance du fond est toujours incomplète et incertaine sans la connaissance de la forme. Il est probable aussi que ses maîtres ne mettaient pas à l’éclairer toute la bonne volonté, ni toute la clarté nécessaires : il faut avoir étudié avec des Orientaux pour se rendre compte de toute la difficulté qu’il y a à le faire profitablement : il faut déjà être au courant du sujet et des questions pour savoir les interroger : car, avec la meilleure volonté du monde, ils ne se rendent pas compte des choses qui nous intéressent et leur angle visuel est différent du nôtre.
Burnouf, rejetant le témoignage de la tradition parsie dans la forme imparfaite et douteuse où il la trouvait dans Anquetil, en découvrit une forme beaucoup plus ancienne et plus pure dans les manuscrits mêmes rapportés par Anquetil : c’était une traduction sanscrite du Yasna, faite il y a cinq siècles ou plus[1], par un Dastùr de l’Inde, Nériosengh, fils de Dhaval. Cette traduction avait été faite sur la vieille traduction pehlvie, de sorte que par l’intermédiaire de Nériosengh, Burnouf remontait de l’interprétation des Parses du xviiie siècle à celle du haut moyen âge, et il pouvait ainsi s’appuyer sur la tradition d’une époque où la religion était encore florissante et
  1. Sur la date de Nériosengh, voir plus bas, ch. viii.