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ANNALES DU MUSÉE GUIMET

perfide Mantharà, femme aussi bossue (mantharâ) que criminelle, mais qui était sa parente. Longtemps elle avait résisté à ses conseils, car elle aimait Râma, véritable prince Charmant[1], que personne ne pouvait s’empêcher d’aimer. Mais enfin l’ambition l’emporta, et elle résolut de faire donner l’onction royale à Bharata et de jeter Râma en exil, dans une forêt, रामश्चैव वनं व्रजेत्[2]. À cet effet, elle profite d’une promesse que Daçaratha lui avait jadis faite avec serment, d’accomplir ce qu’elle souhaiterait. Le roi, se doutant du funeste usage que Kaikéyî voulait faire de cette promesse, fut excessivement affligé du rappel qu’elle lui en fit, et quand il connut sa demande, il eut le cœur déchiré et cria : Grâce, ô reine, grâce ! प्रसीद देवी[3]. Mais l’ambitieuse qui savait qu’elle tenait la conscience timorée de son époux par l’obligation des devoirs moraux, parmi lesquels les législateurs de l’Inde énumèrent la véracité et la droiture avec la défense expresse de mentir[4] ; Kaikéyî ne voulut entendre à rien ; elle ne cessait de presser le roi de faire honneur à sa parole et d’observer le respect du serment prêté. « Tu dois rester ferme dans la vérité, स्थातुं सत्ये त्वमर्हसि lui dit-elle, car je me suis fiée à ta parole t’en sachant esclave, roi véridique, satyavâg[5]. »

Ainsi acculé à son devoir, Daçaratha envoie chercher Râma qui était tout aux préparatifs de son sacre et ne se doutait nullement de ce qui se tramait. Le héros arrive devant son père accablé de douleur et Kaikéyî qui est assise à côté du roi, lui explique qu’elle réclame au monarque deux grâces qu’il lui avait naguère librement accordées, laissant à son choix le lieu et le moment. Maintenant, ajoute-t-elle, je lui demande le sacre de Bharata et, pour toi, un exil de 14 ans : चैव वर्षाणि हि चतुर्दश[6]. Mis ainsi en présence d’un engagement de son père, Râma n’hésite pas un seul instant ; il y voit un ordre qui l’enchaîne, et sur le champ il prend la résolution de

  1. Nous l’avons déjà remarqué, son nom même a ce sens-là, râma voulant dire « joie, charme » (Cf. Râm., I, 1, 11-22 : yasmâd ato râma itî.)
  2. Ib., II, 8, 8. — Ib., ib., 16.
  3. Râm. II, 9, 47.
  4. Yajnavalkya, III, 185, cf. I, 122, 308. — Mânavadh., IV, 204 ; XII, 6, ou mentir, anritam, est compté au nombre des 4 mauvais actes de la parole, वाङगयं स्यात्र्वुर्विचं.
  5. Râm., II, 11, 2. C’est précisément le même mot qu’emploie la Loi. (Yajn., 1, 308. Mân., VII, 26.
  6. Ib. ib., 15, 32.