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LE RÂMÂYAṆA.

tercède pour son fils, encore un enfant, (bâlam) dit-il. Le mystérieux brâhmane insiste ; et s’adressant à Râma : « J’ai appris, que tu as brisé l’arc de Çiva ; je te présente l’arc de Vishṇu. Si tu es capable de le bander, je t’accorderai l’honneur d’un combat ». Le Daçarathide accepte ; il prend l’arc de son homonyme en souriant (kṛitasmitaḥ), le bande sans grand effort, l’arme de sa flèche et dit à son provocateur : « Tu es brâhmane, brâhmano ’si, et à cause de cela je ne tirerai pas sur toi, mais je te fermerai l’accès des mondes saints et incomparables, lokân va apratimân punyân haumi te. » Et à l’instant il décoche la flèche dans les mondes du Janadagnide. Depuis lors ce Râma, par la puissance de ce coup, n’eut plus de monde, ततः प्रभृति रामोऽभूदलोकः शरतेजसा[1]. Avons-nous là un Juif errant avant le nôtre, et après celui de la Bible, Caïn ? La privation indéfinie d’un home à la suite d’un méfait, infligée par une puissance supérieure (n’oublions pas que Râma est une hypostase de Vishṇu), place notre héros dans le même cycle de légendes morales sinon historiques que Caïn et Ahasvérus[2]. Une situation analogue est faite par les Chaldéens de Rome à l’empereur Vitellius. Ils lui ordonnent de sortir du monde, de se trouver en n’importe quel endroit[3]. Quoiqu’il en soit, l’exploit de Râma accompli, le ciel reprit sa sérénité et les voyageurs continuèrent leur marche vers Ayodhya, où ils entrèrent aux acclamations de tous les habitants. Et Râma trouva dans l’union avec sa chère Sitâ le bonheur dont Vishṇu jouit dans celle de Çrî.

Cependant, Daçaratha devenu contre l’usage général[4], plusieurs fois centenaire, anekavarshaçatiko vṛidho ’syadya[5], songeait à associer à son trône Râma, son glorieux fils, et les brâhmanes approuvaient cette idée. Râma allait donc être sacré, après avoir accompli le devoir religieux qui consistait à se purifier, lui et son épouse, sur un lit de kuça, कुशसंस्तरे, chapelle consacrée à Nârâyaṇa, lorsque Kaikeyî, la seconde femme de Daçaratha et mère du jeune Bharata, se mit en tête de faire arriver au pouvoir son fils, au détriment de Râma. L’idée lui en avait été suggérée par la

  1. Râm., I, 77, 53. Nous avons ici une variante de la fable de Paraça-Râma que le Mahâbhârata donne dans le Varna Parva, lect. XCIX.
  2. V. à ce sujet Schoebel, Le Juif Errant, Paris, 1877.
  3. Suéton., Vitellius, XIV.
  4. Les Indiens n’étendent jamais la vie humaine au delà de cent ans. Leurs vœux de longévité se bornent là. (V. Atharva-V., II, 13, 4 ; 28, 4 et al.)
  5. Râm., II, 1, 26.