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ANNALES DU MUSÉE GUIMET.

de halabṛit porte-soc ou laboureur^^1, Râma était en outre honoré, de date ancienne aussi, comme le génie tutélaire de l’agriculture fécondant Sitâ le sillon. C’est ce que l’épouse de Ràma est censée dire elle-même dans un passage de notre poème^^2. De plus, dans un Ràmàyana populaire du Dekhan elle invoque la terre comme sa mère, pour qu’elle témoigne de l’intégrité de sa vertu : en proie aux odieux soupçons de son époux^^3.

L’ancienneté et l’importance du mythe de Ràma ont fini par faire de ce personnage une des incarnations de Vishnu et, par suite de cela, le poème qui le glorifie porte le titre de kâvya ou même de mahâkâvya^^4, comme qui dirait le chant des chants, das Hohe Lied, chant (gità)^^5 fait par un Kavi ou chantre inspiré, tout comme les hymnes védiques^^6. Par conséquent on pourrait, avec les réserves voulues, appeler notre poème le livre religieux du peuple de l’Inde, de même qu’on a dit de l’Iliade qu’elle était le religionsbuch, le livre de religion, la bible des Grecs. La comparaison n’a rien d’exagéré. « Jaloux que je devinsse honnête homme, raconte le plus jeune convive du Banquet de Xénophon » mon père me contraignit d’apprendre tous les vers d’Homère ; ^^7 et à son tour Horace proclame que le chantre de la

1 V. Mahâbhârata, IX, 2934 ; vol. III, p. 280 Calc.

2 Râmâyana, VI, 101, 17.

3 Dubois, l. c. II, 410.

4 Harivança, CLII, 1672 ; p. 297, Calc., 1839.

5 Le poème porte aussi le titre de Râmagîtâ chant de Râma.

6 Le titre de chantre antique, Kavim purâṇam, est attribué même au divin Purusha (Brâhma) suprême : तं परं पुरुषं दिव्यं (taṃ paraṃ puruṣaṃ divyaṃ) (Bhag.-Gîtâ, VIII, 10) pour indiquer sa fonction d’instituteur de l’humanité.

7 Ὁ πατὴρ ἐπιμελούμενος ὅτως ἀνὴρ ἀγαθὸς γενοίμην, ἠνάγϰατέ με τάντα τὰ Ὁμήρου ἔπν μαθεῖν. (Convivii c. III).

    doctrinal, telles que les donnent les anciennes upanishats. Jacquemont, qui n’était pas indianiste mais qui était guidé par un grand sens historique, avait deviné l’antériorité du buddhisme au brâhmanisme. (V. Ouvr. c, III, 529 sqq). Il en est des conquêtes religieuses comme des conquêtes linguistiques. Le brahmanisme s’est substitué dans l’Inde au buddhisme de Çâkya comme l’arabe s’est substitué à l’araméen, dans la Syrie. Mais ce qui est évincé laisse toujours de fortes empreintes dans ce qui se substitue à lui, et ainsi on trouve des traces indéniables de buddhisme dans le brahmanisme tout comme c’est le cas de l’araméen dans l’arabe syrien. Sur ce dernier point v. Huart, Notes sur quelques expressions du dialecte arabe de Damas. — Il y a des raisons concluantes pour établir la filiation des religions de l’Inde comme suit :

    Naturisme vague et élémentaire :
    Drâvidisme ...........
    ............... Védisme.
    Buddhisme ... Jaïnisme ... Brâhmanisme.
    Çivaïsme ........... Vishnuisme.
    Hindouisme.
    (c.-à-d. syncrétisme polythéiste avec Vishnu-Çiva comme substance quasi-monothéiste).