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ANNALES DU MUSÉE GUIMET.

l’œuvre se fait connaître déjà par le caractère entièrement rhapsodique de sa composition, caractère qui se révèle h satiété par l’extrême disproportion de longueur des chants, par le style verbeux, prolixe, redondant, diffus de ses récits, par des redites sans nombre, sans mesure, sans discrétion ; puis, en constatant que la légende du héros revient, plus ou moins développée, dans beaucoup d’ouvrages de contenu et de date fort divers, tels que le Mahâbhârata, le Harivança, les Purânas, le Mrichakatikâ, le Rahguvança, etc., comme aussi dans les râsas et yâtras, ces drames populaires qui présentent de singulières analogies avec les mystères chrétiens du moyenâge et s’appellent la Râmavanavasayâtrà, l’exil de Râma, la Sitàharanayâtrâ, l’enlèvement de Sîtà, la Ràvanavadhayàtrâ la mort de Râvana, etc. etc.^^1. Jacquemont assista, au camp de Rarrackpour, à la représentation d’un de ces drames, le Ramlila, devant 30,000 spectateurs, et il en décrit le sujet. Cela en valait la peine, car la légende de Ràma s’y présente pour ainsi dire renversée^^2. Je ne parle pas des imitations ; il n’en manque pas comme p. ex. le Viracarita en 30 chapitres ; mais il faut mentionner au moins ÏAdhijàtma Ràmdyana , qui est à notre épopée comme l’Imitation est à l’Evangile, c’est-à-dire que tous les faits y sont pris et interprêtés au sens spirituel et mystique.

Cependant quel genre de poème est-ce que le Râmâyana ? C’est , dit-on , une épopée. Soit ; mais ce n’est pas une vraie et pure épopée comme par exemple l’Iliade. Il ne s’astreint pas , il est loin de s’astreindre au récit suivi d’une légende historique d’actions grandes et héroïques. Une infinité d’épisodes , sans grand rapport avec le sujet et qui, élagués, allégeraient considérablement le poème, entravent trop la marche du récit. Toutefois il ne manque pas d’un ordre suffisant et le titre d’œuvre d’art ne saurait lui être

1 V. les Yâtrâs par Nisikânta Chattopâdhyâya, dans Magazin f. die Literatur des In- u. Auslandes, nos. 47, 49 ; 1882. — L’auteur est un brahmane élevé à l’allemande et écrivant en allemand ou en anglais, à. Zurich.

2 Dans cette légende il s’agit bien encore de la guerre de Ceylan, mais les rakshasas y sont remplacés par les singes qui veulent envahir l’Inde. Ràma est envoyé pour les combattre, mais il passe de leur côté pour avoir Sîtâ qui est parmi eux, et il périt avec tous les singes dans une grande bataille que lui livrent les Indiens assistés de tous les dieux. (Jacquemont, Voyage dans l’Inde I, 213.) Heureusement, car la défection de Râma allait être la destruction du Jambudvîpa. A cet échantillon de l’altération historique de la légende de Râma se joint, pour achever la confusion, celle qu’on peut appeler dogmatique en ce que Râma, le représentant de l’idéalisme éthique inhérent au Vishnuisme, devient, dans le midi surtout, le représentant du culte grossier de Çiva, sous la forme où ce dieu, drâvidien au fond, est adoré par les lingâjits ou porteurs de phallus. (V. Graul, Reise in Ostindien, II, 134, 253 et al.)