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TABLEAU DU KALI YOUG OU ÂGE DE FER

justice. S’ils vont aux lieux de pèlerinage, c’est pour y faire le commerce. Ils négligent la connaissance des Védas et des Purânas ; mais ils écoutent volontiers la voix des bayadères. Ils ne remplissent les devoirs que leur impose leur caste que lorsqu’ils reçoivent des présents qui les y déterminent ; et tandis qu’on leur fait ces dons corrupteurs, on ne donne rien au pauvre volontaire[1].

Dans le Kali, les savants tiennent au roi des discours futiles. Au lieu d’entendre la lecture des Védas, on écoute celle des romans érotiques. Les Brahmanes étudient peu, et cependant ils manifestent beaucoup d’orgueil dans les assemblées.

De leur côté, les Kschatryias commettent toutes sortes de vexations ; ils sont fiers et n’ont d’égard pour personne. Ils prennent aux Brahmanes leurs vaches pour les vendre, et non seulement ils persécutent les Brahmanes, mais les bardes mêmes chargés de chanter leurs exploits, et on s’expose à la mort, soit qu’on s’oppose à leur tyrannie soit qu’on veuille s’y soustraire.

Dans ce malheureux âge, les Brahmanes ne reconnaissent pas d’impureté légale. Ils entrent sans scrupule dans la maison des gens de basse caste. Ils ne songent qu’à acquérir des richesses, quoiqu’ils n’y réussissent pas.

Tout le monde se plaint que les marchands falsifient leur marchandise sans qu’on puisse connaître leurs pratiques secrètes à cet effet. Ils sont gracieusement fripons et font avec aisance les choses les plus répréhensibles. Dans le Kali, on se moque de ses parents, on est même cruel envers eux.

Au lieu de remplir les obligations qui leur sont imposées et de se livrer aux pratiques ordonnées, les brahmanes passent leur vie au vain culte du Sâlgrâm[2] et du Tulcî[3]. Or, tandis qu’ils négligent les règles de la pénitence et de l’ablution, les Soudras connaissent mieux qu’eux leur devoir et ils font l’aumône selon leur pouvoir.

Mais écoutez encore tout ce qu’on se permet dans le Kali. On ne tient pas compte d’une bonne renommée ; on fait ainsi sans retenue les plus grandes injustices. Les méchants injurient publiquement les bons au milieu de la ville.

  1. À la lettre « à celui qui est sans désir », nisprêhi, c’est-à-dire, au faquir, au pauvre volontaire.
  2. On nomme sâlgrâm les pierres sur lesquelles se trouvent les traces d’une ou de plusieurs ammonites que les Hindous croient représenter Wischnou.
  3. Le tulu est un petit arbrisseau nommé en botanique ocimum sanctum, lequel est en grande vénération chez les Hindous, parce qu’ils le considèrent comme la métamorphose d’une nymphe que Krischna aima.