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LE MYTHE DE VÉNUS

tée. Macrobe nous apprend (Saturnales, iii, 8) que c’était un hermaphrodite, portant le phallus et le menton barbu. Quelle origine pour la divine figure que nous a léguée le ciseau des artistes grecs ! À Paphos, ce qui est plus étrange encore, l’image de la déesse n’était qu’une pierre conique^^1.

Il est probable qu’à Cythère, île hellénique, l’ancienne divinité chananéenne était déjà bien changée. À Corinthe évidemment, on ne pouvait adorer qu’une Aphrodite grecque. Mais elle y avait conservé des traits qui rappellent son origine asiatique. Là, plus que partout ailleurs, c’est la déesse de la prostitution, la patronne des courtisanes. Que ce soit une suite de l’influence étrangère, il est impossible d’en douter. Dans les poèmes homériques (constatons-le à la gloire de cette vénérable antiquité) on ne trouve rien de semblable. Aphrodite en certains endroits s’y montre fort légère ; mais il semble que la prostitution proprement dite n’ait point de place dans cette société héroïque. Nous y trouvons de beaux types d’épouse, aucun de courtisane.

À Corinthe les courtisanes étaient reines. Protégées par leur consécration au culte d’Aphrodite, dont elles étaient les prêtresses, nous les voyons entourées de considération et d’honneurs, à ce point que Pindare, un si grand poète, composait un hymne pour elles. Leur nombre était considérable, et elles avaient dans la cité une sorte de rôle officiel. Au rapport de Chamæléon d’Héraclée, que cite Athénée, c’était un antique usage de réunir toutes les courtisanes de la ville pour qu’elles allassent offrir à la déesse les vœux des citoyens. D’autres historiens, Théopompe et Timée, racontaient que ce furent les courtisanes de Corinthe qui allèrent présenter dans le temple d’Aphrodite les prières des Grecs pour le salut commun, lorsque Xerxès envahit la Grèce avec son armée. Après la victoire de Salamine, les Corinthiens offrirent à la déesse un tableau où toutes ces courtisanes étaient représentées, et sur lequel on a une épigramme de Simonide.

Enfin, et ce fait monstrueux semble ne pouvoir être contesté, les particuliers qui demandaient une grâce à la déesse promettaient de lui vouer un certain nombre de courtisanes, et quand ils avaient été exaucés, ils payaient leur dette. Nous en avons un exemple de Xénophon de Gorinthe partant pour les jeux Olympiques.

1 Jusqu’au temps de Vespasien. (Tacite, Histoires, II, 3.)