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LE PESSIMISME BRAHMANIQUE

fourmille de monstres marins tels que les fils, les filles, les femmes, les parents ; elle porte pour bulles et pour écume les mondes où séjournent les hommes, les animaux sauvages et domestiques, les oiseaux, les dieux, etc. On n’échappe que par la science de l’âme suprême aux alternatives d’immersion et d’émersion auxquelles on est exposé en la traversant. »

En résumé, les brahmanes vedântins considéraient le monde matériel comme un séjour où la peine l’emporte sur le plaisir, et malheureux en somme, au moins eu égard à l’état absolument heureux que procure la délivrance ou l’union avec l’âme suprême.

Il en résulte que leur pessimisme n’est en dernière analyse que relatif, tandis que celui des bouddhistes est absolu, si toutefois on doit, comme on le fait généralement, assimiler au néant le nirvana ou la délivrance bouddhique.

Mais ici une question se pose. Les âmes individuelles, dira-ton, ne peuvent s’absorber dans l’âme suprême qu’à la condition de perdre leur conscience propre. Ne faut-il pas en déduire cette conséquence forcée que la délivrance brahmanique n’est elle-même qu’un mode d’anéantissement identique dans ses effets au nirvana des bouddhistes ? Nous avons là un problème métaphysique de la plus haute difficulté et que je n’essayerai pas de résoudre. Je me bornerai à indiquer d’après les philosophes hindous quels sont les principaux attributs de l’âme suprême, — attributs auxquels participent selon eux, les âmes individuelles délivrées, dans des conditions dont la raison ne doit pas chercher à se rendre compte.

L’âme suprême, surtout à partir de l’époque où le système qui est esquissé dans cette étude a été complètement achevé, est généralement qualifiée au moyen de la formule attributive akhandam sac cid ânandam, c’est-à-dire qu’elle est l’être sans parties[1], l’intelligence et le bonheur.

Ces qualités sont expliquées et démontrées de la manière suivante par un commentateur :

L’être consiste dans l’absence d’idée contradictoire relativement à l’objet auquel il est attribué.

L’âme universelle possède l’être ; car elle ne saurait eu être privée qu’autant

  1. Cf. Pascal, Pensées, art. x, 1.