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LE PESSIMISME BRAHMANIQUE

l’écorce des arbres, pour amies les gazelles, pour nourriture les fruits savoureux des arbres, pour breuvage l’eau qui tombe des cascades, pour épouse voluptueuse la science (de l’âme suprême) , et qui n’élèvent pas les mains jointes au-dessus de leur tête en signe de servitude.

« La santé de l’homme est détruite par les soucis et les maladies de toute sorte ; là où la fortune est descendue, le malheur entre à sa suite comme par une porte ouverte ; la mort s’approprie tous les êtres les uns après les autres sans qu’ils puissent opposer de résistance pour échapper à leur sort. Qu’y at-il donc de solide dans ce que le tout-puissant Brahma a créé ?

« Ce qui a vie est assailli par la mort ; la florissante jeunesse se retire à mesure que les années se succèdent ; le contentement est mis en fuite par la soif des richesses, et l’heureuse paix du cœur par les coquettes agaceries des jeunes filles ; les vertus sont déchirées par les envieux, les forêts sont infestées par les bêtes féroces, les princes sont victimes des méchants, les grandeurs pé rissent par l’effet de l’inconstance. Est-il quelque chose qui ne soit pas détruit ? Est-il quelque chose qui ne soit pas- destructeur ?

« Rien de ce qui arrive dans ce monde matériel ne me semble avantageux : les conséquences des bonnes œuvres me font trembler quand j’y réfléchis. Les grandes jouissances que procurent à la longue les grands mérites accumulés amènent à leur suite des peines cuisantes auxquelles sont exposés ceux qui se livrent à ces jouissances.

« La vie a l’instabilité des dots, l’éclat de la jeunesse ne dure que peu de jours, les biens sont aussi fugitifs que la pensée ; toutes les jouissances n’ont que le scintillement éphémère de l’éclair dans la saison des pluies ; ayez donc la pensée fixée sur Brahma, afin de passer sur l’autre rive de cette mer effrayante qu’on appelle la vie.

« Le corps s’est replié sur lui-même, la démarche est hésitante, les dents s’ébrèchent, la vue s’éteint, la surdité est survenue, la bouche laisse échapper la salive, les familiers ne tiennent plus compte de ce qu’on dit, l’épouse n’obéit plus. La vieillesse, hélas ! est une triste période de la vie : le fils lui- même devient un ennemi.

« On jouit d’une prospérité qui permet de réaliser tous ses désirs : après ? On a mis le pied sur la tête des ennemis : après ? On a consacré ses richesses à élever ses favoris : après ? On vivrait des milliers d’années : après ?