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LE PESSIMISME BRAHMANIQUE

tre ère, intitulé le Vedânta-Sâra l’exposé des moyens d’après lesquels ou peut devenir dès ici-bas, délivré-vivant, c’est-à-dire uni intellectuellement à l’âme suprême, avant que l’âme individuelle n’ait quitté le corps. Comme on doit s’y attendre, l’extase et les pratiques ascétiques jouent un grand rôle pour celui qui veut arriver à cet état, dans lequel la vie physique est comparée à la roue du potier qui continue de tourner d’elle-même par suite de l’impulsion reçue.

Le pessimisme religieux et philosophique d’où découlent ces doctrines et les pratiques qu’elles ont entraînées, et qu’attesterait à elle seule la propension excessive des Hindous à négliger, intellectuellement du moins, le souci des choses terrestres pour s’occuper de la vie future, a trouvé, comme on doit s’y attendre, son écho dans la littérature proprement dite. On pourrait multiplier à l’infini les citations empruntées aux poètes épiques et dramatiques prouvant que c’était un lieu commun dans l’Inde de penser comme ce gymnosophiste dont parlent Plutarque et Clément d’Alexandrie qui, pour répondre à cette singulière question d’Alexandre devant lequel il avait été amené : « Qu’est-ce qui a de plus de force de la vie ou de la mort ? » s’écria : « C’est la vie, si l’on songe aux maux de toute sorte dont elle a à supporter le poids.» La plupart des littérateurs de sa nation avaient la même opinion. Qu’il me suffise, pour en donner une idée, de faire quelques emprunts aux stances qui nous ont été transmises sous le nom de Bhartrihari. Comme pour presque tous les auteurs de l’Inde, on n’a sur ce poète que des données légendaires dont on ne peut guère tenir un compte sérieux. Il était, dit-on, le frère d’un roi de l’Inde occidentale ; il aurait vécu vers le commencement de l’ère chrétienne, et il aurait écrit, sous l’impression d’une existence d’abord voluptueuse, puis consacrée aux affaires, puis enfin désabusée et pénitente, les cent stances de chaque genre consacrées à l’amour, à la sagesse mondaine et à l’ascétisme ou au renoncement, qui forment le recueil que nous avons sous son nom. Mais qu’elles soient de lui ou non, les stances ascétiques qu’on lui attribue sont empreintes, comme nous allons le voir par quelques extraits, d’une amère éloquence inspirée par le spectacle des misères de cette vie et de l’instabilité des choses humaines :

« N’est-il pas agréable d’habiter un palais ? Le chant et la musique ne font-ils pas plaisir à entendre ? Ne goûte-t-on pas un bonheur suprême dans la société de celle qu’on aime autant que la vie ? Et cependant les sages, considérant toutes