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LE PESSIMISME BRAHMANIQUE

quentes sur les tourments moraux, sur l’effrayant vertige qu’éprouvent certaines âmes inquiètes à sonder le vide profond des choses qui passent, du haut de l’insatiabilité de leurs désirs. Les plus grands parmi les littérateurs de notre siècle, depuis Chateaubriand et Byron jusqu’à Giacomo Lcopardi et Musset, ont souffert de ce mal et ont poussé de ces gémissements.

Mais le pessimisme grec n’a été que le reflet mobile d’une imagination riche en contrastes de tout genre, de même que le pessimisme chrétien n’a consisté que dans l’exagération individuelle et l’interprétation arbitraire de certains dogmes. Quant au pessimisme romantique, il n’a fait heureusement école qu’au point de vue littéraire. En résumé, ni dans l’antiquité classique, ni durant les premiers siècles de l’Eglise, ni à l’époque où Werther, Obermann, René et Manfred étaient à la mode, on n’a édifié de toutes pièces une conception de l’univers reposant sur l’idée de la prédominance générale et nécessaire du mal sur le bien.

Il n’en fut pas de même dans l’Inde, et longtemps avant la naissance du bouddhisme, qui eut lieu, comme on sait, cinq cents ans environ avant Jésus-Christ, les brâhmanes, qui formaient la caste sacerdotale et lettrée, étaient déjà sur la voie qui devait les conduire, parallèlement aux dissidents bouddhistes, à des conclusions peu différentes, au point de vue des choses temporelles, de celles qu’adoptèrent ces derniers.

Un fait à constater tout d’abord, c’est la corrélation, dans le brahmanisme, de la croyance à la transmigration et de l’opinion qui considère la vie, en tant que le résultat de l’union des âmes et des corps, comme un mal. Dans les Védas proprement dits, peu ou point de traces de croyance en des renaissances indéfinies, non plus que de tendances pessimistes. Les chantres des hymnes n’ont pas, du reste, de conceptions aussi transcendantes : pour eux, le culte des morts n’en est qu’à ses premiers développements, et s’ils ne sont pas indifférents au redoutable problème de la fin des êtres, ils n’ont pas encore, à ce qu’il semble, assez de puissance d’abstraction pour donner un corps aux spéculations que leur suggère le souci des choses d’outre-tombe.

Ce sont les Upanishads ou les parties philosophiques des livres védiques, parties très postérieures aux recueils des hymnes, et dont les plus anciennes ne remontent peut-être qu’à 7 ou 800 ans avant Jésus-Christ, qui nous offrent pour la première fois, et souvent sur le même plan, la théorie de la trans-