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LE PESSIMISME BRAHMANIQUE

brahmaniques du Vedânta, telles que les ouvrages sanscrits nous les font connaître.

Pour le bouddhisme, la ressemblance avec le pessimisme allemand est certainement frappante. Les bouddhistes, ou du moins une partie d’entre eux, aspirent, en effet, comme on le sait, à ol)tenir après la mort un état appelé nirvana qui ne semble pas différer du néant : le souverain bien pour eux consiste à ne plus être, ou tout au moins, à ne plus éprouver de perceptions ni à plus forte raison de sentiments, ce qui paraît bien revenir à l’extinction intellectuelle absolue.

Les brâhmanes, et particulièrement ceux qui ont adopté les principes de la doctrine vedânta ne sont pas allés aussi loin, ainsi que nous le verrons ; mais, comme les bouddhistes, ils ont de commun avec les pessimistes allemands le fait d’avoir bâti tout un système sur l’hypothèse qu’en cette vie la somme des peines dépasse celle des plaisirs. C’est par l’esprit de système, du reste, que les uns et les autres diffèrent surtout des pessimistes isolés et de sentiment plutôt que de raisonnement, qui se sont succédé depuis Job et Salomon jusqu’aux blasés et aux révoltés contemporains, comme Baudelaire, l’impassible sceptique, et Mme Ackermann, la blasphématrice éloquente. Ces pessimistes irréguliers, ainsi qu’on pourrait les appeler, ont été de tous les temps. Même à l’aurore des plus beaux jours de la Grèce, à une époque et dans une contrée où tout semble prouver qu’on était heureux de vivre, on jetait parfois un regard mélancolique sur les peines d’ici-bas, et l’on considérait comme favorisés des dieux ceiLx que la mort enlevait à la fleur de la jeunesse, avant la sombre arrivée des déceptions et des misères physiques qui ont toujours accompagné le déclin de l’âge : la poétique légende de Gléobis et de Biton, si bien racontée par Hérodote (Clio xxxi), nous en fournit le témoignage. Plus tard, les ascètes chrétiens qui s’enfuyaient au désert étaient certainement aussi des pessimistes à leur manière. Ils pouvaient s’autoriser d’ailleurs, dans leur mépris pour les choses temporelles, de la malédiction prononcée sur Adam chassé du paradis terrestre, ou, comme le firent un jour les jansénistes, des redoutables et difficiles problèmes que présentent les questions de la grâce et du libre arbitre.

Tout près de nous enfin, une école littéraire qui procède à la fois de Rousseau et de Gœthe a prodigué jusqu’à en fatiguer nos pères ses plaintes élo-