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HISTOIRE DES IDÉES THÉOSOPHIQUES DANS L’INDE

caractérisé par la notion « je suis ». Jusqu’ici le yogin a conservé la conscience de son moi. Aussi les quatre phases du samâdhi qui viennent d’être élaborées forment-elles le samprajñâta-yoga[1]. Mais le travail de concentration ne s’arrête pas là. Le yogin finit par entrer dans l’état de yoga inconscient, par lequel sont anéantis toutes les impressions passées et tous les germes d’une future existence individuelle.

Comment pourrait-on décrire un état qui a précisément pour caractère d’être sans caractère ? Seuls ceux qui en ont fait l’expérience peuvent en parler sciemment, et encore manquent-ils de paroles pour en donner une idée. Du moins tâche-t-on de dépeindre au moyen de comparaisons ce suprême apaisement de l’âme : « Le yogin est aussi calme qu’un homme qui dort paisiblement ; il ressemble à une lampe remplie d’huile qui brûle dans un endroit abrité du vent, et dont la flamme s’élève fixe et droite. Tel un roc qui demeure inébranlable bien qu’il soit battu par les pluies », etc., etc. (Mbhr. XII, 11693, sqq.)[2].

  1. Voir plus haut, page 312. — Si le lecteur veut bien se reporter aux passages de la Chāndogya-Upaniṣad et de la Māṇḍūkya-Upaniṣad cités plus haut (pages 81, sqq. ; 124, sq.), et à ce que j’ai dit page 191, sq., de la théorie védantique de l’individualisation du brahman, il se convaincra que la plupart des éléments de cette analyse du samādhi s’expliquent par ses antécédents historiques. Dans la Chāndogya-Upaniṣad, il ne s’agit pas encore de phénomènes extatiques, mais le premier état est déjà mis en relation avec la veille, le second avec le rêve, le troisième avec un sommeil profond. La Māṇḍūkya-Upaniṣad ajoute un quatrième état, celui de l’absorption temporaire ou définitive dans le brahman ; en outre, la veille y correspond au monde grossier, le rêve aux objets subtils ou internes, le sommeil à la félicité. Le Yoga fait des trois premiers états les trois premiers degrés de la concentration spirituelle, c’est-à-dire de la désindividualisation progressive de l’âme ; cela le conduit à poser en face de l’âme complètement désindividualisée ou inconsciente, asamprajñâta-yoga, un quatrième état de l’âme individuelle et consciente, celui où elle n’a plus d’autre caractère que cette individualité même. Nous verrons que l’histoire de cette doctrine ne se termine pas là ; dans le bouddhisme, elle subit encore une nouvelle et caractéristique modification.
  2. Un passage de la Haṭha-yoga-pradīpikā, qui se sert de deux comparaisons pour décrire l’état du yogin dans le samādhi, nous montre à quel point les idées védantiques ont pénétré dans le Yoga récent : « Vide dedans, vide