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LA THÉOSOPHIE BRAHMANIQUE

Il n’en est plus de même dans le samādhi. Sujet et objet ne font dès lors plus qu’un : « Pour celui dont les fonctions intellectuelles sont supprimées, il y a concentration et consubstantiation du sujet qui saisit, de l’objet saisi, de l’acte de saisir, comme dans une gemme » (Y.S. I, 41)[1].

Puisqu’il est une concentration intense et absolue de l’esprit, le samādhi est psychologiquement un phénomène différent de l’extase. Dans l’extase, le mystique se sent transporté hors de lui-même, il oublie son moi et s’abîme en Dieu : ἔκ-στασις. Dans les Upaniṣad et les systèmes qui en dérivent, le samādhi est un moyen de s’arracher temporairement à la limitation et à la relativité de l’existence ; il constitue par conséquent une anticipation de la désindividualisation finale. La conception grecque et chrétienne de l’extase rappellerait plutôt, mais combien spiritualisée, une vieille idée animiste que nous avons signalée à propos du ritualisme brahmanique : l’âme du sacrifiant quitte momentanément le corps où elle réside, et voyage dans le ciel pendant l’acte sacré ; et si un rite spécial ne la réintègre dans le corps, une fois la cérémonie terminée, le sacrifiant perd la vie ou la raison.

L’apprenti yogin n’arrive pas d’emblée à réaliser cette concentration qui doit couronner la lente élaboration de son salut. Il n’y réussit que grâce à une série de travaux d’approche qui naturellement ont été catalogués avec minutie, sinon avec clarté. Tout d’abord la contemplation a pour objet les choses du monde grossier ; elle est savitarka, pensive. Puis l’âme s’abime dans la contemplation des objets subtils ; le samādhi est alors savicāra, réfléchi. Ensuite l’âme est sans contenu distinct, mais elle éprouve encore un sentiment de béatitude, c’est le sānanda-samādhi. Enfin tout sentiment s’efface ; tous les organes sont au repos ; il ne subsiste plus que ce qu’il y a de plus tenace dans l’âme individualisée, c’est-à-dire son individualisation même ; c’est le sāsmitā-samādhi,

  1. Dans une gemme d’une transparence parfaite, l’objet qui reflète, l’objet reflété et l’image sont en quelque sorte unifiés.