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HISTOIRE DES IDÉES THÉOSOPHIQUES DANS L’INDE

sous un sévère contrôle de façon qu’ils obéissent et ne commandent plus, c’est faire le nigraha. Dès ce moment, les choses du dehors ne sont plus perçues par la conscience, et par conséquent n’existent plus pour elle ; le manas lui-même devient non-manas[1]. Qu’un seul des organes ne soit pas réprimé, et la connaissance s’écoule, comme l’eau s’enfuit d’une outre trouée[2]. Si au contraire l’occlusion est complète, « l’intellect n’entend plus, ne voit plus, n’a ni goût, ni odorat, ni tact ; il ne fait plus acte de volonté ; il n’a conscience de rien, ne pense pas ; il est comme une bûche. C’est alors qu’on atteint le tréfonds[3] des choses ; c’est le yoga, disent les sages. On brille comme une lampe qui brûle en un lieu abrité contre le vent, et, débarrassé de son corps subtil, sans vaciller, on suit la route d’en haut ; on ne revient plus dans les régions inférieures » (Mbhr. XII, 11384, sq.).

F. Sixième anga : la fixation de la pensée (dhāranā).

Maintenant que toutes les communications sont coupées avec le monde extérieur, et que la pensée, affranchie, peut s’épanouir librement, c’est vers le dedans qu’elle doit diriger son effort. Un travail effectué en trois étapes va l’amener de proche en proche à l’unification, à la désindividualisation, à l’isolement[4].

Résoudre ses six sens dans la buddhi, et celle-ci dans « l’indéterminé » par le processus d’involution enseigné dans l’école Sānkhya, c’est ce qui unifiera l’organe pensant ; la résorption de tous les évolués dans leur source première délivrera le puruṣa de cette apparente individualité qu’il devait à son association avec le monde du devenir ; et l’âme, isolée, s’élargira à l’infini.

  1. manaso ’manibhāve, Gauḍ., Māṇḍ. kār. III, 31-48.
  2. Mbhr. XII, 8782.
  3. prakṛtim āpannaṁ.
  4. ekāgratva ; nirātmahatva ; kaivalya. Ces trois opérations sont étroitement associées et portent le nom commun de saṁyama, la contrainte centripète. Voir Y. S., III, 4 ; 7 ; 8.