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HISTOIRE DES IDÉES THÉOSOPHIQUES DANS L’INDE

arrive souvent, l’idée s’est matérialisée, et c’est le bruit de la respiration qui a été considéré comme une prière. On a enseigné que par chacune de ses expirations et inspirations, l’homme faisait entendre la phrase so ’haṁ « Il est moi »[1]. Respirer, c’est donc des milliers de fois par jour affirmer la vérité suprême. Comme on compare souvent la circulation de l’air aspiré et expiré à l’eau qui alternativement remplit et abandonne les auges d’une roue hydraulique, cette prière respiratoire évoque le souvenir des fameuses roues qui ont fait une fâcheuse réputation au bouddhisme décadent. Tellement il est vrai qu’une doctrine, fixée par la tradition, et propagée par l’esprit d’imitation, fait, sous l’influence d’un psittacisme croissant, une chute d’autant plus lamentable qu’elle avait brillé d’abord d’un plus bel éclat.

Dans chaque acte respiratoire[2] on distingue trois moments, l’inspiration, la rétention du souffle dans la poitrine, l’expulsion de l’air ; et l’on appelle pūraka, kumbhaka, recaka le contrôle de la respiration dans chacune de ces trois phases[3]. Leur durée est strictement déterminée. L’unité de mesure étant la mātrā, c’est-à-dire le temps employé pour un clignement d’œil, un battement de mains, l’émission d’un son, ou encore l’intervalle qui sépare, pour un

  1. So ’haṁ est l’équivalent de la « grande parole » Toi, tu es ceci. En renversant l’ordre des deux mots, on a haṁ-so, le flamand, qui est devenu un nom mystique de l’âme ; d’où parama-haṁsa, une des appellations usuelles de l’Être suprême.
  2. D’après le Sarvadarśanasangraha, le nombre total des inspirations et des expirations, en un jour et une nuit, s’élève à 21.600, c’est-à-dire quinze en une minute, ce qui est un chiffre normal. L’ajāpamantra ou « formule sans parole » que nous faisons entendre en respirant, se compose de 600 adorations du dieu Ganeśa, 6.000 de Brahman Svayambhū, autant pour Viṣṇu et Śiva, 1.000 pour Bṛhaspati, pour l’Âme suprême et pour l’âme ; total 21.600 (Sarvad., p. 175).
  3. Il est à remarquer que les textes commencent en général par le recaka. Le pūraka « remplit » ; le recaka « déverse » ; le kumbhaka supprime le mouvement de l’air à l’intérieur du corps, et le souffle est immobile comme de l’eau dans une cruche (kumbha). On ajoute quelquefois un 4e moment, le śūnyaka, « le vide ». C’est le moment de suspension qui sépare chaque expiration de l’inspiration subséquente.