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LA THÉOSOPHIE BRAHMANIQUE

il en fait une pénitence, un moyen que l’homme possède d’expier la mort de tant d’animaux qu’il fait périr par cela seul qu’il vit lui-même : « Les prāṇāyāma sont une expiation de la mort involontaire de tant de créatures qu’on tue jour et nuit. Si un brahmane fait, selon les règles, trois prāṇāyāma, en y joignant les vyāhṛti et le praṇava, il accomplit la pénitence suprême. De même que les impuretés des métaux sont consumées par la fonte, de même les défectuosités des sens sont détruites par la répression des sens[1]. » Le principe de l’ascétisme n’est-il pas en effet que la vie « naturelle » est pernicieuse ? que plus on la laisse se déployer librement, plus elle est une source de souffrance ? Il convient donc de racheter ou d’atténuer tout au moins par la pratique des mortifications, le mal que l’on cause sciemment ou non ; et c’est libérer son moi que de gêner sa respiration, cette manifestation par excellence de la vie individuelle.

Une dernière raison pour soumettre la respiration à des règles positives, c’est qu’elle passe pour une prière continuelle. Cette croyance est très certainement en relation avec l’idée, si souvent exprimée par les anciennes Upaniṣad, que « celui qui sait » fait l’offrande journalière, non pas dans le feu sacré, mais intérieurement, dans le feu de son ventre, un rite qu’elles appellent le prāṇāgnihotra[2]. Cette substitution est un des symptômes de la spiritualisation du culte, que les Upaniṣad ont préparée et sur laquelle nous trouverons encore de nombreux témoignages dans la littérature de l’hindouisme. Malheureusement les traités relatifs au yoga ne se sont pas maintenus à cette hauteur de mysticisme. Il y avait quelque chose de profondément religieux dans la pensée que la vie tout entière est comme un hymne en l’honneur du brahman, l’être universel ; mais, comme il

  1. Manu, VI, 69-71. On appelle vyāhṛti les formules composées de mots isolés ; la plus fameuse est bhūḥ, bhuvaḥ, svah. Quant au praṇava, voir plus haut, p. 117 sqq.
  2. Voir plus haut, p. 70.