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HISTOIRE DES IDÉES THÉOSOPHIQUES DANS L’INDE

le manas aussi manque de stabilité ; immobiliser la respiration, c’est immobiliser en même temps le manas » (H. Y. Pr. II, 2)[1].

Quelque étranges que soient ces conceptions, elles ne sont pas cependant tout entières du domaine de la fantaisie. L’activité cérébrale est directement intéressée à la manière dont se comporte la circulation du sang, et par conséquent elle dépend aussi dans une certaine mesure de la respiration. L’intoxication d’un sang insuffisamment brûlé par une respiration trop lente provoque souvent des troubles intellectuels. En outre, si l’on en croit des témoignages qui semblent dignes de foi, on peut, en agissant sur la respiration, arriver à modifier sensiblement son état moral.

Un motif ascétique a contribué à accroître l’importance qu’on attachait au contrôle de la respiration. Dans la théorie du yoga, régler son souffle[2], c’est purifier les organes de son corps, les dépouiller de toutes les scories que la vie individuelle y accumule sans cesse. De là cette destination, à première vue surprenante, que Manu assigne au prāṇāyāma ;

  1. Le Sānkhya a emprunté cette doctrine au Yoga : « La suppression des fonctions de l’organe pensant est produite par l’expulsion et par la rétention (de l’air dans la respiration) » (S. S. III, 31). Il n’est pas inutile de rappeler qu’un des plus grands mystiques modernes, Swedenborg, était, lui aussi, convaincu qu’une pensée lente correspond à une longue respiration, une pensée rapide à une respiration accélérée.
  2. Ou plutôt ses souffles vitaux, car il y a cinq prāṇa, qui sont les agents de toutes les opérations vitales de l’organisme. Les textes, malheureusement, ne s’accordent guère sur la manière de répartir entre eux les fonctions physiologiques. On trouvera dans Deussen, Gesch. der Phil. I, 2, p. 248 sqq., un aperçu de la doctrine des Upaniṣad sur les prāṇa. Quant au Yoga, il n’a fait, sur ce point comme sur bien d’autres, que recueillir l’enseignement traditionnel des écoles brahmaniques. Voici comment la théorie la plus généralement répandue localise et spécialise les prāṇa : 1o le prāṇa proprement dit, entre la pointe du nez et le cœur, renouvelle la vie dans l’organisme ; — 2o  le samāna entre le cœur et le nombril, sert à l’assimilation (samīkaraṇa) des aliments et des boissons ; — 3o l’apāna, entre le nombril et l’anus, est chargé des évacuations ; — 4o l’adāna, entre le nez et le sommet du crâne, est l’organe par lequel l’âme sort du corps dans l’extase et au moment de la mort ; — 5o le vyāna, répandu dans l’ensemble du corps et dans les membres, est l’organe du mouvement.