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la théosophie brahmanique

Je crois qu’il y a lieu de distinguer entre le Yoga, doctrine philosophique (le yoyadarśana), et le yoga, ensemble d’exercices ascétiques. C’est dans le système que la présence d’un Dieu apparaît comme une superfétation[1]. Mais le théisme est au contraire fort ancien dans les pratiques de l’ascétisme et de la magie. L’idée traditionnelle et populaire, c’est que par les jeûnes et les mortifications, le sorcier met dans sa dépendance un être surhumain par l’entremise de qui il obtient l’objet de ses désirs ; et il en est de même de l’ascète qui n’arrive dans l’extase à l’intuition des vérités sublimes que par son union temporaire avec l’être qui est pure connaissance. Dans les deux cas, le dieu est un auxiliaire dont l’assistance, quoique provisoire, est en somme indispensable. Même systématisé, le Yoga ne pouvait guère se passer de cette notion. De plus, à voir la place que Śiva occupe dans les textes les plus populaires de l’école yoga, on peut se demander si ce dieu très personnel n’a pas été dès l’origine étroitement associé aux pratiques de la sorcellerie et de l’ascétisme, et si l’Īśvara des théoriciens n’est pas le résultat de sa désaffectation orthodoxe ou théosophique. C’est ce qui expliquerait le mieux ce qu’il y a de vague dans cette entité : elle nous paraît effacée, parce qu’elle n’a plus un rôle important à jouer dans l’économie du monde et du salut, telle que se la représente le Yoga, maintenant qu’il est endoctriné par le Sānkhya ; elle cadre mal avec le reste du système parce qu’elle n’y figure que comme survivance d’une personnalité autrefois bien définie

    auxiliaires du yoga, c’est-à-dire la foi, l’énergie spirituelle, le souvenir, la concentration, la connaissance (prajñā, l’intuition consciente de la vérité), alors se produisent sans autre délai le yoga inconscient et sa conséquence, le salut. Mais s’il y a chez le yogin une certaine paresse dans l’emploi de ces moyens, il ne peut compenser ce déficit que par sa dévotion pour Īśvara (Yogasāras., p. 18).

  1. N’oublions pas d’ailleurs que ce qui fait paraître choquante la présence d’un Īśvara dans le Yoga, c’est l’identité à tous autres égards de ce système avec le Sānkhya. Si l’on n’avait pas eu le commode moyen de confrontation que nous apportent les textes de l’autre école, on ne se fût peut-être pas avisé que le rôle d’Īśvara n’était qu’un hors-d’œuvre.