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histoire des idées théosophiques dans l’inde

d’autre mobile pour agir que la compassion qu’il éprouve pour les puruṣa liés aux trois essences constitutives de la prakṛti et engagés dans le saṃsāra. Si, dans sa bonté, il a créé ce monde misérable, c’est parce que la connaissance qui est en germe dans chaque puruṣa prendra son épanouissement à cette seule condition ; le tapas, la souffrance est une discipline indispensable pour l’acquisition du savoir. De quelle manière Īśvara vient au secours du dévot qui aspire à la délivrance et peut féconder ses efforts, c’est une question que les docteurs de l’école ne semblent même pas s’être posée.

La théorie mécanique du salut, telle que l’exposent les traités du Sânkhya, est sans doute plus claire, et même plus satisfaisante pour le dialecticien, si l’intervention d’un Īśvara ne vient pas compliquer le problème. Il est donc très naturel que la plupart des savants européens qui ont étudié l’histoire du Yoga, inclinent à voir dans son théisme un élément adventice, qui n’aurait été introduit dans le système primitif qu’à titre de concession et pour se faire accepter des religions populaires[1]. Bien loin d’être un organe de la doctrine, la notion d’Īśvara, disent-ils, est restée sans influence sur l’ensemble du système. On le voit assez dans la conception du salut : dans toutes les religions centrées sur l’idée d’un dieu personnel et d’une providence, le but suprême offert aux adeptes est la vie éternelle en Dieu ou auprès de Dieu, et non pas l’isolement parfait de l’âme[2].

  1. Voir Garbe, Sānkhya und Yoga, p. 49, sq. ; Deussen, Geschichte der Philosophie, I, 2, p. 215 ; p. 344 ; Markus, Yoga Philosophie, p. 3. — M. Garbe pense que Īśvara a été emprunté à la doctrine des Bhâgavata. Il est vrai que Bhagavat est une des appellations ordinaires de Dieu dans les textes du Yoga, et que les Bhāgavata désignent leur divinité suprême par le titre d’Īśvara ; mais Bhagavat et Īśvara sont des mots trop communément employés pour qu’on puisse appuyer sur eux quelque hypothèse que ce soit. Il faut noter aussi que les Bhāgavata sont une secte vishnouite, tandis que le yogisme est plutôt affilié au sivaïsme.
  2. Il y a des textes qui cherchent à spécifier la part d’Īśvara dans l’œuvre du salut. Ils n’ont pu lui assigner que des rognures. On enseigne, par exemple, que si l’on pratique avec énergie et intensité les cinq « moyens »