Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 22-23.djvu/961

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
305
la théosophie brahmanique

s’adaptait à merveille aux besoins du Yoga, si bien même qu’on serait tenté de se demander si cette doctrine assez étrange de la pluralité des puruṣa et de leur absolue indépendance réciproque qui fait que chacun est exactement comme s’il existait seul, ne lui a pas été inspirée par les conditions où il concevait l’ascétisme. Cette hypothèse paraîtra peut-être très audacieuse. Remarquons cependant que l’influence en retour du Yoga sur le Sānkhya est incontestable, et qu’elle ne s’est point exercée seulement sur des points d’importance secondaire, s’il est vrai que la doctrine de l’antahkarana a été imaginée à cause de passages de la Śruti et de la Smṛti qui recommandent la pratique du Yoga[1].

À défaut d’emprunts qui ne sont qu’hypothétiques, le Sānkhya a des obligations envers le Yoga. Il serait très certainement tombé dans l’oubli, et en tout cas il n’aurait pas agi comme il a fait sur le développement de la pensée hindoue, si le Yoga ne l’avait maintenu en honneur. Qui attaquait le Sānkhya, attaquait aussi le Yoga, et, pour défendre celui-ci, il fallait se servir des armes que possédait le Sānkhya. Le même Vācaspatimiśra, qui a commenté la Sānkhya-Karika, est aussi l’auteur d’une glose sur le plus fameux commentaire des Yogasūtra, le Vyāsabhāṣya ; et l’auteur d’un des traités les plus répandus sur le Yoga, le Yogasārasangraha, est ce même Vijñānabhikṣu en qui nous connaissons déjà un exégète du Sānkhya. Il n’est pas douteux que la doctrine rationaliste n’ait bénéficié de l’extraordinaire popularité du système qui lui doit tant.

§ 2. Īśvara.

Le même livre du Mahābhārata, qui nous a fourni tout à l’heure une affirmation si péremptoire de l’identité du Yoga et du Sānkhya, met un peu plus loin ces paroles dans la bouche de Bhīṣma, s’adressant à Yudhiṣṭhira : « Comment

  1. Vijñ., p. 34.