Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 22-23.djvu/952

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
296
histoire des idées théosophiques dans l’inde

les Hindous[1]. Enfin, il arrive parfois, dans l’Inde comme dans l’Occident, qu’on fuie le monde pour expier des fautes, volontaires ou non. Après la bataille qui mit fin à la longue querelle des Pāṇḍava et des Kaurava, le roi Yudhiṣṭhira, désespéré d’avoir été la cause du trépas pour un grand nombre de ses proches, voulut renoncer à la royauté et mener la vie d’un ascète.

Non, car il est sans exemple qu’un ascète se propose l’affranchissement d’un autre que de lui-même. Si, comme nous le verrons plus tard, l’idée d’une réversibilité des mérites et des fautes n’est point étrangère au brahmanisme, le salut, dans le sens où l’entendent les milieux théosophiques, n’en demeure pas moins une affaire toute personnelle.

Chacun doit faire son salut soi-même. Cela signifie-t-il que l’homme ne doit compter que sur lui pour être mis au bénéfice des avantages procurés par l’ascétisme ? Ou bien ne peut-il arriver au but qu’avec une aide extérieure, une aide qui, dans l’espèce, est nécessairement celle de la divinité ? C’est là une question délicate. De la réponse qu’elle recevra dépend l’idée qu’on se fera de ce qui constitue une des originalités du Yoga, son théisme. Nous devrons revenir sur ce problème. Pour le moment, bornons-nous à constater que presque partout où un prêtre-sorcier se soumet à une sévère discipline physique et morale pour être à même de commander aux éléments et d’intervenir dans l’ordre de l’univers, il plie à son service un dieu par l’intermédiaire duquel il se met au-dessus des lois ordinaires de la nature. Comme si l’on avait voulu souligner la source de cette domination sur les phénomènes cosmiques, l’Inde l’a appelée aiśvarya, le mot abstrait dérivé du nom donné communément à la divinité dans les textes du Yoga, Īśvara. Et puis

  1. « Le chef de famille qui perd les objets de son affection, et que visitent la ruine, le chagrin et la maladie, tombe dans le désespoir ; le désespoir éveille en lui le moi ; l’éveil du moi l’amène à l’étude des livres sacrés ; cette étude, à l’ascétisme. Rare en effet est l’homme qui, jouissant de ce qui lui est cher et agréable, se résout, par lassitude et par réflexion, à pratiquer le renoncement » (Mbhr., XII, 10832, sq.).