Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 22-23.djvu/951

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
295
la théosophie brahmanique

terre, qui font que tant d’âmes délicates prennent la vie en dégoût et renoncent à des jouissances qui leur semblent empoisonnées. Mais il y a plus. Il semble à ces chrétiens que les sacrifices et les souffrances auxquels ils se soumettent, sont une expiation du mal qui se fait autour d’eux ; leurs mortifications sont une pénitence ; plus ils s’humilient et se torturent, plus ils rachètent. Et ce qu’ils veulent sauver par leur œuvre rédemptrice, ce n’est pas seulement leur âme, c’est aussi et surtout les innombrables âmes pécheresses qui continuent insouciantes leur coupable vie profane. Dans cette admirable religion d’amour et de solidarité qu’est souvent le christianisme, quelques-uns acceptent avec joie les privations et les longs martyres pour que beaucoup soient pardonnés.

Y a-t-il eu quelque chose de semblable dans la société religieuse créée par le brahmanisme ? Oui et non.

Oui, car il n’est point rare qu’on devienne ascète par mépris du corps, et par révolte contre la servitude que la chair impose à l’homme. Ce fut le cas d’Upakosala, un personnage que met en scène la Chāndogya-Upaniṣad : écœuré par ce qu’il y a d’abject dans les fonctions d’une vie qui n’est que désir, il ne voulut plus prendre aucune nourriture (4, 10)[1]. Bien souvent aussi, c’est le chagrin qui jette les hommes hors du siècle, ou de la vie de village, comme disent

  1. Une autre Upaniṣad, beaucoup plus récente, la Parama-haṁsa-Up., exprime avec énergie ce même sentiment : « Parce que son corps n’est pour lui qu’une charogne, il se détourne pour toujours de ce corps misérable qui est cause du doute, de la sottise, de l’erreur ; il dirige fermement sa pensée vers Brahman, prend en lui son assiette, et sait ceci : Cet Être sans second, qui est toute félicité et toute connaissance, je suis Lui ; il est mon suprême séjour… »

    À l’époque classique, ce sentiment de l’impermanence de toutes choses pousse bien des âmes vers l’ascétisme : « Les objets extérieurs, même s’ils demeurent longtemps à notre portée, finissent toujours par s’en aller. Alors, pourquoi ne pas les quitter tout de suite ? Quelle différence cela fait-il, puisque de toutes façons il faut s’en séparer ? Quand ce sont eux qui s’en vont, ils causent au cœur une douleur infinie ; mais si on les abandonne volontairement, ils procurent au contraire le bonheur immense du repos intérieur » (Bhartṛhari, III, 13 = 668, Böhtl.).