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la théosophie brahmanique

cète. Les épopées sont pleines de légendes où l’on voit des hommes, des animaux, des démons acquérir par la violence de leurs mortifications un pouvoir si effrayant que l’univers en est ébranlé, et que les dieux s’ingénient à séduire ces pénitents pour leur faire perdre le bénéfice de leur ascétisme. La plupart de ces récits montrent combien la morale est étrangère à ces pratiques et à ces croyances. Ce sont souvent d’odieux démons, de grands criminels, qui, obéissant aux mobiles les plus égoïstes, entrent ainsi en possession de pouvoirs qui mettent à leur merci la nature et les dieux eux-mêmes. N’importe ! sorciers ou saints, ce sont des surhommes à qui l’exercice du renoncement vaut l’admiration et le respect. On sent confusément qu’il y a quelque chose de surnaturel dans l’acceptation volontaire de la privation et de la souffrance[1].

Cependant, ni l’accroissement de force psychique qui résulte de tout exercice de la volonté, ni les facultés surnaturelles qu’on s’imaginait acquérir par la pratique du tapas, ne sauraient expliquer à eux seuls l’extraordinaire faveur dont l’ascétisme a joui dans l’Inde de toutes les époques, et qui a fait dire à Bhiṣma dans le Mahābhārata : « L’ascétisme est supérieur même au sacrifice, c’est ce que déclare la Parole excellente » (XII, 2978a). Ce qui a dû contribuer à cette popularité, c’est que, dès l’origine, on a vu dans ces observances une condition éminemment favorable pour obtenir à échéance plus ou moins lointaine ce qu’on peut appeler la vie divine. Selon une croyance très ancienne et très répandue, les privations de tout genre, — jeûnes, continence, abandon de biens ou de jouissances, — sont nécessaires pour qu’on puisse s’approcher de la divinité, communier avec elle, c’est-à-dire vivre de sa vie. Pour recevoir

  1. Un point de vue singulier, c’est celui de la Bṛhad-Araṇyaka-Upaniṣad disant que le plus grand des tapas, c’est la maladie et la mort (5, 11). Nous avons là une de ces étrangetés dont les anciennes Upaniṣad sont coutumières. En général, le caractère propre de l’acte ascétique, c’est d’être volontaire.