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histoire des idées théosophiques dans l’inde

rôle plus grand encore dans celle de l’Atharva-véda[1]. Les asura eux-mêmes ont pratiqué le tapas et lui ont dû leur puissance ; mais les deva ont encore mieux su s’échauffer, et leur ont enlevé l’empire du monde. Il en est de même dans l’ordre spirituel : c’est par le tapas que les ṛṣi « voient » les hymnes, les rites et les formules, et qu’ils peuvent les communiquer ensuite aux mortels.

Toute souffrance qu’on s’impose, toute mortification, tout acte de renoncement, toute négation de soi-même, doivent compter aussi pour des manifestations d’une volonté puissante. On prétend en général que l’Inde est, par excellence, le pays de l’alanguissement moral et physique ; et on l’en excuse en disant que la population y a été énervée par un climat débilitant à l’extrême. C’est là un de ces clichés contre lesquels protestent l’histoire et la littérature. Le bouddhisme lui-même a sans cesse recommandé l’exercice de la volonté. Le malheur de l’Inde fut qu’on ait proposé à cette volonté, comme but, le moi, au lieu du non-moi ; qu’elle ait été intériorisée, quand il aurait fallu l’extérioriser, et qu’elle se soit traduite par des actes d’ascétisme, par la domination de soi, au lieu d’être un instrument pour la prise de possession du monde et des autres hommes. Et c’est ainsi que le tapas cessa d’être, comme dans l’Atharva-véda et les Brāhmaṇa, un échauffement créateur, pour désigner à peu près exclusivement la mortification, le renoncement, l’ascèse ; ce fut une ferveur religieuse qui demeura enfermée dans le sujet.

Mais sous cette forme aussi le tapas est une exaltation d’énergie. Virtuellement, il y a un magicien dans tout as-

  1. M. Bloomfleld traduit excellemment tapas par « creative fervour ». — L’acte créateur précède nécessairement l’activité conservatrice ou réparatrice. C’est du tapas que naissent le satya, la réalité, et le ṛta, l’ordre cosmique et l’ordre sacrificiel (Rv. X, 190, 1). Le tapas est le fondement des fondements des choses : « Le firmament a pour fondement l’atmosphère ; l’atmosphère a pour fondement la terre ; la terre a pour fondement les eaux ; les eaux, pour fondement la réalité ; la réalité, le brahman ; le brahman, le tapas » (Ait. Br. XI, 6, A).