Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 22-23.djvu/887

Cette page n’a pas encore été corrigée
231
la théosophie brahmanique

qu’elle est simple : il y a l’être. Le Sânkhya a appelé la première Prakrti, un mot que l’on traduit en général par matière, bien que la Prakrti soit tout autre chose qu’une substance inerte et passive. L’étymologie suggérerait plutôt « procréation » si, comme le terme sanscrit, ce mot désignait non pas seulement un acte, mais en même temps et la chose qui procrée, et la force génératrice qui est dans cette chose[1]. À défaut d’un meilleur équivalent, je me servirai du mot « nature » qui semble s’écarter le moins du vocable sanscrit.

Quant à l’être, simple et immuable, son nom est Purusa, ce mot que les Upanisad ont déjà employé au sens d’âme, et qui avait sur âtman l’avantage de ne pas avoir été constamment utilisé pour désigner l’âme universelle.

En somme, quelque profonde que soit l’opposition entre le dualisme du Sânkhya et le monisme du Védanta, il ne semble pas que, pour l’expliquer, il faille supposer que le deux doctrines ont été élaborées dans deux milieux complètement étrangers l’un à l’autre. Au contraire, on se représente mieux leur éclosion dans deux écoles apparentées, quoique adverses. Qu’on nie la réalité absolue du devenir, on a la mâyâ des Védantins ; qu’on l’affirme, on a la prakrti du Sânkhya[2]. D’autre part que, regardant le genre comme seul réel, on fasse de l’être pris en sa totalité l’âme universelle, on aura le Brahman du Védanta ; si, au contniire, c’est l’individu qui, seul, est vrai, l’être est alors la monade du Sânkhya, le purusa.

  1. C’est un principe du Sankhya qu’on ne peut séparer l’activité de ce qui déploie l’activité. Voir, par exemple, Vâcasp. ad Kâr. 23.
  2. N'est-il pas caractéristique que dans une partie tout inspirée par l’enseignement du Sânkhya, le Mahâbhârata appelle avidyâ « la substance indéterminée qui a pour caractères la création et la disparition », et que le « vingt-cinquième », c’est-à-dire le purusa, y soit défini comme « le savoir affranchi de la création et de la dissolution » ? (XII, 11419).