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histoire des idées théosophiques dans l’inde

tunité de son livre, s’exprime en ces termes aussi fleuris que significatifs : « Cette doctrine du Sānkhya, que le soleil du temps avait desséchée, cette lune de connaissance dont il ne restait plus que la seizième partie[1], je vais par l’ambroisie de mes paroles lui rendre sa plénitude » (p. 1). Aujourd’hui, le nombre des disciples du vieux Kapila est, dit-on, fort réduit. L’intérêt de cette philosophie est donc historique, ce qui, d’ailleurs, n’est pas pour diminuer son importance aux yeux de quiconque étudie le développement de la pensée hindoue.

II. Les bases du système.

Deux hypothèses sont à la base du Sānkhya, l’une ontologique, l’autre téléologique.

A. L’hypothèse ontologique pose la réalité absolue du monde empirique, sat-kārya-vāda. « Il n’y a pas irréalité du monde, car il n’est pas possible de le nier, et la cause dont il est issu est sans défaut » (S. S. I, 79 = VI, 52). À la différence du bouddhisme, l’école affirme catégoriquement l’identité d’une chose qui est l’objet de deux perceptions successives. Car « les choses ne sont point momentanées ; leur prétendue momentanéité est contredite par le fait qu’on les reconnaît[2] ; résultant de la perception « ce que j’ai vu précédemment, je le touche maintenant », cette reconnaissance prouve la permanence des choses » (Vijñ., p. 19).

Mais quoi ? le monde n’est-il pas le lieu d’un changement incessant ? Comment peut-on affirmer la réalité de ce qui est en perpétuel devenir ?

Le Sānkhya ne conteste pas le caractère transitoire de la réalité phénoménale. Mais, ajoute-t-il, ce qui est a toujours été, sera toujours. Une chose n’est pas seulement réelle au moment où elle se manifeste ; elle l’est déjà alors qu’elle

  1. C’est-à-dire un très mince croissant. La lune se nourrit d’ambroisie.
  2. Voir S. S. I, 35.