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la théosophie brahmanique

pour étayer sur elles ses exercices et ses prétentions. Comme tout indique enfin qu’en fait de doctrines, le bouddhisme est à un haut degré le débiteur du Sānkhya et du Yoga, nous voici obligés de reporter au cinquième, et même au sixième siècle avant Jésus-Christ l’origine de cette philosophie, tout près par conséquent de ces anciennes Upaniṣad d’où le Védanta a pris naissance.

La nature et l’âge des documents dont nous disposons, écartent toute possibilité de reconstituer jamais l’enseignement du vieux Kapila, si tant est que ce nom soit celui d’un personnage réel. Il est du moins un point sur lequel on peut être hardiment affirmatif, c’est que, dès le principe, le Sānkhya fut un système réaliste et athée. On constate en effet que son accaparement par le brahmanisme fut de plus en plus complet. S’il n’avait pas été rationaliste à ses débuts, on ne s’expliquerait pas qu’il le fût devenu, comme il l’est par exemple dans la Kārikā, à une époque où il était pleinement avoué pour orthodoxe.

Mais de ce qu’il fut de tout temps réaliste, il ne suit pas nécessairement qu’il ait été aussi une philosophie autonome et spontanée, et qu’il faille par conséquent chercher son point de départ en dehors des cercles brahmaniques. Nous avons vu que les plus vieilles Upaniṣad n’étaient point encore inféodées à l’idéalisme pur ; d’autre part, le point de vue athée est aussi celui de la très orthodoxe et très ritualiste Mīmaṅsā[1]. Les tendances rationalistes du Sānkhya ne suffisent donc pas pour établir le caractère originellement non-brahmanique de cette école.

M. R. Garbe, qui est aujourd’hui, en dehors de l’Inde, la principale autorité en cette matière, a fait valoir un autre argument qui semble décisif à première vue. Il dit qu’à la

  1. Cet athéisme consiste à nier l’existence d’une âme universelle, qu’on l’appelle Brahman ou autrement, et à nier l’existence d’un dieu suprême, universel aussi, mais personnel, d’un iśvara. Comme la Mīmaṅsā et comme le bouddhisme, le Sānkhya admet l’existence de dévas, êtres finis et impermanents.