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PRÉFACE


On constate dans toutes les civilisations la présence de certaines idées qui se transmettent d’une génération à l’autre comme des vérités qu’il n’est plus besoin de contrôler. Un exemple frappant de la puissance et de la vitalité de ces axiomes traditionnels, c’est la croyance qui s’est si vite établie dans le monde chrétien en une éternité absolue de bonheur ou de peines, servant de sanction à une existence éphémère et relative. Quand Lactance, au commencement du quatrième siècle, enseignait que les hommes qui furent heureux dans cette vie, sont éternellement malheureux dans l’autre, et que ceux qui, épris de justice, ont consenti à être ici-bas honnis, pauvres et persécutés, sont récompenses dans le ciel par une félicité sans limites, sa pensée ne s’est pas arrêtée un instant sur l’énorme disproportion du mérite et de la rémunération. Avant et après Lactance, théologiens, hommes d’église, fidèles ont accepté le dogme de l’éternité des joies paradisiaques et des tortures infernales sans être froissés par son injustice et son absurdité, pas plus que la généralité des contemporains de Sophocle n’étaient choqués par l’indécence de la mythologie grecque, ou que les lecteurs des chefs-d’œuvre consacrés par une admiration séculaire ne réfléchissent à ce que les situations et les personnages mis en scène ont souvent de révoltant.