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HISTOIRE DES IDÉES THÉOSOPHIQUES DANS L’INDE

est sans effet sur sa perception présente. Des trois guṇa constitutifs de toutes choses, c’est le sattva qui domine en lui, comme chez les dévas, et ses sens devenus infiniment aigus peuvent percevoir l’état subtil des êtres, c’est-à-dire leur état passé et leur état futur[1].

De plus, les lois de la nature grossière sont valables pour les corps grossiers, mais non pas pour un yogin, qui est en voie de dématérialisation. Plus de pesanteur pour lui, plus de distances ; et même c’en est fait de cette impuissance relative qui oblige les hommes à se servir d’instruments pour faire ce dont ils ont besoin. Le simple exercice de la volonté suffit au yogin pour arriver à ses fins. Maître de la prakṛti, il connaît tout et dispose de tout à son gré[2].

Enfin, les choses ramenées pour lui à leur condition subtile n’éveillent plus en son esprit ni attachement, ni répulsion, ni stupide indifférence. Elles sont donc comme dénuées de guṇa[3]. Dès ce moment, il ne souffre plus de toutes les alternatives qui empoisonnent l’existence ordinaire. N’oublions pas qu’au premier rang de ces contrastes douloureux figurent la vertu et le vice. Le yogin, comme les mystiques de l’Occident, est au-dessus du bien et du mal ; il n’est pas plus tenu par les lois morales que par les lois cosmiques. Tout péché et toute souffrance sont consumés pour lui[4].

Cependant, il fera bien de ne considérer cette possession de pouvoirs miraculeux que comme le signe qu’il est encore à une des étapes préliminaires du salut. Bien loin d’être un but, les forces occultes pourraient au contraire l’écarter de

  1. Cf. Mbhr. XII, 9201, sqq.
  2. Voir Y. S. III, 48 ; 49.
  3. Voir Vijñ., p. 88 ; Vācasp., ad S. Kār. 5.
  4. « Les actions accomplies par des yogins ne sont ni blanches, ni noires ; celles que font les autres êtres peuvent être de trois sortes » Y. S. IV, 7. — Les dieux, en effet, font des actions blanches ; les démons, des actions noires ; les hommes, des actions mixtes. Ce sūtra ne comporte nullement pour le yogin la cessation absolue de toute action, mais seulement la stérilisation des actes dont il est l’auteur. Voir aussi Y. S. IV, 30.