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collectivité parviennent, surtout si la femme est économe et laborieuse, à se constituer une honnête aisance ; tout s’y passe, paraît-il, de la manière la plus correcte et avec une entente parfaite. Ces mariages se concluent exactement comme les autres. C’est l’aîné des frères qui choisit la femme, fait la demande et figure seul dans la cérémonie des noces. Il est le chef de la famille commune ; c’est à lui que les enfants donnent le nom de père, tandis qu’ils appellent oncles les autres frères[1].

Deux raisons peuvent expliquer cette coutume si étrange : l’infériorité du nombre des femmes par rapport aux hommes, et la misère générale du pays. Cette dernière raison paraît être la plus sérieuse, car on peut concevoir jusqu’à un certain point que les Tibétains, en proie à une atroce misère, aient cherché, à la fois, à vivre le plus économiquement possible, à ne pas morceler par le partage leurs maigres héritages et à restreindre la nativité autant qu’il était en leur pouvoir, afin de diminuer le nombre des bouches à nourrir. Celle tirée de l’insuffisance du nombre des femmes nous paraît devoir être écartée ; car, d’un côté, un assez grand nombre de femmes se vouent au célibat religieux et se retirent dans les couvents, et, de l’autre, on signale l’existence de la polygamie parmi les classes nobles et riches. Nous manquons de renseignements précis sur la polygamie tibétaine, qui paraît se rapprocher davantage de la polygamie des Chinois que de celle des musulmans ; c’est-à-dire comporter une seule femme légitime, véritable maîtresse de maison, et un nombre ad libitum de secondes épouses (euphémisme pour concubines) limité seulement par l’ampleur des revenus du chef de la famille.

  1. Voir à ce sujet S. Turner, Ambassade au Thibet, t. II, p. 143 ; — Griffith, Mission du capitaine Pemberton au Boutan, Journal of the Asiatic Society of Bengal, t. VIII, pp. 261-265 ; — C.-H. Desgodins, Mission du Thibet, p. 225 ; — Élysée Reclus, Tibet, p. 83.