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Dans les villes, les villages et les campagnes, ils vont de porte en porte, entrant sans se gêner dans les maisons ou les tentes, et, sans parler, étendent le bras, le poing fermé et le pouce en l’air, ce qui est en ce pays la manière de demander l’aumône[1]. Il est rare qu’on les laisse sortir sans leur donner au moins une poignée de tsampa[2].

Les mendiants sont légion ; mais, chose singulière, les vrais misérables forment parmi eux la minorité. La grande masse est composée de mendiants par ordre de justice, condamnés à vivre sous la tente sans pouvoir rien posséder et à venir à certains jours mendier en des lieux fixés, et surtout de mendiants par dévotion, moines et laïques, qui ont fait vœu de vivre d’aumônes pendant un temps déterminé ou pendant leur vie entière, ou pèlerins se rendant à quelque lieu saint ou à quelque monastère en renom. C’est principalement autour des couvents et des temples qu’ils pullulent, spéculant sur la charité des pèlerins fortunés et s’ingéniant à la provoquer par tous les moyens imaginables. « Lorsque nous arrivâmes près du monastère (de Jhanseu), raconte Turner, nous fûmes assaillis par une foule de mendiants de tout âge et de tout sexe. Il y avait parmi eux quelques jeunes gens qui portaient des masques et faisaient des tours et des bouffonneries. Nous vîmes au coin d’une rue deux vieilles femmes couvertes de haillons, qui jouaient d’une espèce de guitare et dansaient au son de leur rauque instrument. On voit, d’après ce que je viens de dire, que la profession de mendiant n’est pas inconnue au Tibet, mais on l’y exerce d’une manière moins désagréable et peut-être avec plus de succès qu’en Europe. Ici les mendiants cherchent à amuser ceux à qui ils demandent l’aumône, au lieu de les affliger par le récit d’un malheur qui n’est pas réel, ou par le spectacle d’une infirmité factice. Nous

  1. Huc, Voyage dans la Tartarie et le Thibet, t. II, p. 266.
  2. Farine d’orge grillée.