Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 12-13.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

indifférence dans les autres, surtout parmi la classe des mandarins et des lamas. Les autres vertus sont presque toutes matérielles, si je puis parler de la sorte : ainsi il souffre facilement le froid, la fatigue, la faim, la soif, et cela pendant longtemps ; mais s’il trouve une bonne compensation il ne la manquera jamais. Il est généralement actif, mais moins industrieux que le Chinois, aussi les arts sont-ils au Thibet bien moins perfectionnés qu’en Chine. Au milieu de son travail, il chante sans souci ; à l’époque d’une fête, il se promène pendant le jour, chante, danse et boit pendant la nuit, sans se souvenir des chagrins de la veille ou sans se préoccuper des soucis du lendemain. Voilà le Thibétain, tel que je l’ai vu[1]. »

En résumé, d’après ce réquisitoire, le Tibétain serait servile, lâchement hautain, fourbe, intéressé, vindicatif, insouciant et léger, et ses bonnes qualités se borneraient à une certaine sobriété, un peu de patience, beaucoup de résistance aux souffrances matérielles (qualité plutôt physique que morale, à notre sens), et à une religiosité irraisonnée ne différant pas sensiblement de la propension à la superstition ordinaire aux peuples primitifs. Mais voici une note toute différente avec le père Huc, qui, à la vérité, n’a eu affaire qu’avec les populations du nord ; selon lui, les Tibétains sont serviables, hospitaliers, gais de caractère, « quand ils vont dans les rues, on les entend fredonner sans cesse des prières ou des chants populaires ; ils ont de la générosité et de la franchise dans le caractère ; braves à la guerre, ils affrontent la mort avec courage ; ils sont aussi religieux et moins crédules que les Tartares[2] ». Enfin, ils sont « actifs et laborieux[3] ». Comment concilier deux jugements aussi diamétralement opposés et émanant de deux hommes que leur éducation et leur ministère doivent avoir

  1. C.-H. Desgodins, Mission du Thibet, p. 231.
  2. Huc, Voyage dans la Tartarie et le Thibet, t. II, p. 256.
  3. Id., id., t. II, p. 260.