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traite en esclave, se range du côté de vos ennemis, sans que ses anciennes protestations de dévouement et d’amitié lui fassent honte, sans que la reconnaissance parle à son cœur. Esclave envers les grands, despote avec les petits, quels qu’ils soient, fourbe ou traître selon les circonstances, cherchant toujours à escroquer quelque chose et mentant sans pudeur pour arriver à ce but, voilà, je crois, le vrai Thibétain, au moins le Thibétain des pays cultivés du sud, qui se regarde comme bien plus civilisé que les pasteurs ou bergers du nord avec lesquels je n’ai eu que très peu de rapports, et dont, par conséquent, je ne prétends pas faire le portrait.

« On conçoit qu’avec un pareil caractère et avec des mœurs dissolues, le Thibétain devienne facilement cruel et vindicatif. Il ne pardonne jamais ; la vengeance seule peut le satisfaire quand il se croit offensé, mais il ne le manifeste pas tout d’abord ; au contraire, il affecte de vivre en bonne intelligence avec son ennemi, il l’invite, c’est avec lui de préférence qu’il fait le commerce, mais il choisira pour lui tirer une balle dans la poitrine le moment qui suivra un bon dîner où l’on s’est traité cordialement, où l’on s’est juré la plus profonde amitié.

« Tels sont les principaux défauts du Thibétain : quelles sont ses vertus ? Je crois qu’il a un esprit instinctivement religieux, qui le porte à faire de bon cœur quelques pratiques extérieures, et même des pèlerinages longs et fatigants, mais peu dispendieux ; quant à ses convictions religieuses, elles sont absolument nulles, grâce à la profonde ignorance où les lamas laissent le peuple, soit à cause de leur incapacité à l’instruire, soit et surtout pour conserver entre leurs mains les affaires du culte qui leur produit de gros revenus. Les actes du peuple en matière religieuse ne s’accomplissent que sous l’empire de la routine ; mais il ne se rend pas compte et ne cherche pas à s’éclairer ; de là, ignorance dans les classes inférieures, scepticisme et