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n’en reste pas moins à peu près impossible de formuler une opinion générale d’après les documents qui nous sont fournis.

« Ces genz sont idolastres et mauvaises durement, et ne tiennent à nul péchié rober ne mal faire, et greigneurs escharnisseurs (les plus grands moqueurs ou railleurs) du monde[1]. » C’est en ces termes, aussi laconiques qu’énergiques, que Marco Polo fait le procès des Tibétains de son temps, et ces quelques lignes sont évidemment l’écho fidèle de l’opinion que l’on avait à la cour de Khoubilaï-khân.

Guère plus flatteur est le portrait que trace du Tibétain un missionnaire qui a fait un long séjour dans le sud-est de la province de Khams, l’abbé Desgodins, dont nous croyons devoir reproduire les pages in extenso, bien qu’elles ne nous paraissent pas marquées au coin d’une charitable indulgence :

« Il me semble donc que le Thibétain, quel qu’il soit, est essentiellement esclave du respect humain ; s’il vous croit grand, puissant et riche, il n’y aura rien qu’il ne fasse pour capter votre bienveillance, vos faveurs ou votre argent, ou même un simple regard d’approbation. S’il n’a rien à espérer, il vous accueillera avec toutes les démonstrations de la plus profonde soumission ou de la plus généreuse cordialité, suivant les circonstances, et vous fera des compliments interminables, employant les expressions les plus flatteuses et même les plus doucereuses que l’esprit humain ait pu inventer. En ce genre il pourrait donner des leçons aux flatteurs les plus raffinés d’Europe ; vous croit-il au contraire d’une condition inférieure, il n’aura plus pour vous que de la morgue, ou tout au plus une politesse guindée, maussade, revêche ; votre fortune vient-elle à changer, êtes-vous devenu misérable à ses yeux, abandonné et sans autorité, il se tourne immédiatement contre vous, vous

  1. G. Pauthier, Le Livre de Marco Polo, t. II, p. 375.