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croyance première a été le Chamanisme, tel qu’il existe encore en Mongolie, en Sibérie, tel qu’il a existé probablement en Chine dans les premiers siècles de la vie de cette nation, c’est-à-dire le culte ou plutôt la terreur des esprits des morts transformés en démons acharnés à nuire aux vivants. La doctrine bouddhique, qui d’ailleurs n’est pas exempte de superstitions du même genre au moins sous sa forme mystique et tântrique, n’a fait que recouvrir ces croyances d’une sorte de vernis superficiel, et, à quelque classe de la société qu’il appartienne, le Tibétain en est resté profondément imbu. Il adore les Bouddhas, mais ces êtres d’une perfection abstraite ne parlent guère à son imagination que sous leurs formes, en quelque sorte démoniaques, de Yidams, et encore peut-être, au fond, les trouve-t-il trop surhumains pour s’adresser à eux avec une foi entière. De préférence, son adoration se porte sur les déesses, Dâkkinîs, et les dieux d’origine çivaïte, Drag-çeds, qu’il croit sentir plus près de lui et dont la nature à la fois bienveillante et malfaisante répond mieux à ses conceptions ataviques. Il vénère et respecte profondément, superstitieusement les Lamas, mais moins comme dépositaires et organes de la Bonne Loi, que comme possesseurs de la science occulte qui asservit à leurs ordres les lois et les forces de la nature, les démons, les dieux et même les Bouddhas. Pour lui, le Lama (et ce terme s’applique sans distinction à tous les membres du clergé) est avant tout un sorcier et un magicien. Il est hanté de la frayeur perpétuelle des démons, qu’il classe volontiers en de nombreuses catégories, mais qui sont principalement les esprits des morts, toujours prêts à tourmenter et effrayer les vivants si on ne parvient pas à les propitier par des sacrifices, à les éloigner du monde des humains en leur procurant de bonnes et promptes renaissances.

Ce qu’il demande avant tout au prêtre c’est de le protéger et contre les perpétuelles entreprises des démons et