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les mesures de rigueur prises à leur égard ; de même que, plus tard, le zèle inconsidéré de certains missionnaires expliquera la haine et l’ostracisme qui les poursuivront avec plus d’acharnement encore que les autres Européens.

En ce qui concerne le Tibet, situé loin des rivages visités par les flottes européennes, ces faits n’ont pu avoir sur lui qu’une action réflexe et seulement depuis qu’il est tombé définitivement sous la domination de la Chine, et nous avons à chercher d’autres causes à sa méfiance jalouse.

Au début de son existence historique, il paraît avoir fait d’énergiques efforts pour nouer des relations avec ses voisins immédiats, la Chine et l’Inde ; l’un de ses premiers rois, Srong-stan Gam-po[1] (617-698), épousa, dit-on, une princesse chinoise, fille de l’empereur Taï-Tsoung, et une fille du roi de Népaul, afin de resserrer les liens d’amitié qui l’unissaient déjà avec ces deux peuples. Il n’y eut pas de la faute du Tibet si les difficultés trop grandes du passage de l’Himâlaya rendirent à peu près nuls ses rapports avec l’Inde, et l’on ne saurait, en toute justice, l’accuser d’avoir de parti pris, fermé ses portes aux étrangers, tant que ces étrangers eux-mêmes ne lui eurent pas inspiré des craintes sérieuses pour son indépendance. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, en effet, les Européens purent y pénétrer et y séjourner avec assez de liberté ; mais, à partir de ce moment, l’appréhension d’un envahissement possible par les musulmans[2], ainsi que les ordres formels de la Chine, devenue absolument maîtresse du pays, décidèrent le gouvernement tibétain à prendre des mesures d’isolement rigoureuses, qui s’aggravèrent encore quand commença à lui arriver l’écho des conquêtes des Anglais dans l’Inde et de leurs

  1. Et non Loung-dzang, comme l’écrit Dutreuil de Rhins (Asie Centrale, p. 10), ou Lo-zong, suivant l’abbé Desgodins, dans son Bouddhisme thibétain (Revue des Religions, 1890, p. 200).
  2. Samuel Turner, Ambassade au Tibet et au Boutan, vol. I, pp. 1 et 3 ; 2 vol. in-8o. Paris, 1830.