Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 12-13.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Selon le père Huc, cette mesure draconienne fut prise, il y a quelques siècles seulement, par un Nomékhan, ou vice-roi du Tibet, afin de mettre un terme aux ravages que causait dans les monastères la coquetterie féminine[1] ; mais cet usage paraît être beaucoup plus ancien que l’époque de la domination bouddhique dans ce pays, si nous pouvons ajouter foi aux récits historiques de l’auteur de la Description du Tubet. Il nous apprend, en effet, qu’en 634, lorsque le roi du Tibet, Srong-tsan Gam-po, ayant obtenu la main de la princesse Wen-tchhing-koung-tchou, fille de l’empereur Taï-tsoung de la dynastie Thang — la même qui fut déifiée sous le nom de Dolma, — amena sa jeune épouse dans son royaume, « la reine vit avec dégoût l’usage qu’avaient les habitants du pays de se peindre le visage en rouge ». Or, il ne pouvait pas être question à ce moment d’une mesure déjà ancienne prise pour protéger la pudeur du clergé bouddhique, puisque ce fut seulement sous le règne de ce Srong-tsan Gam-po que le bouddhisme s’implanta définitivement au Tibet ; et, d’un autre côté, si ce roi avait été l’auteur de cette prescription — ce qu’expliquerait à la rigueur son zèle de néophyte, — cet usage n’aurait pas encore eu le temps de se généraliser, comme l’indique la phrase du chroniqueur ; le roi n’aurait sans doute pas consenti à donner « aux personnes de sa cour l’ordre de renoncer momentanément à cet usage[2] », et la reine elle-même, fervente bouddhiste comme elle l’était, eût sans doute fait taire son dégoût en considération de l’intérêt de la religion. Nous pouvons, croyons-nous, avancer à coup sûr qu’il s’agit en cette affaire d’une survivance de l’ancien usage qu’avaient les peuples barbares de se peindre le visage, et peut-être faut-il chercher la raison de cette survivance dans quelque antique observance hygiénique : la nature onc-

  1. Huc, Voyage dans la Tartarie et au Thibet, t. II, p. 258.
  2. Klaproth, Description du Tubet ; Nouveau journal asiatique, t. IV, p. 107.