Page:Annales de pomologie belge et étrangère - 1.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.

continu finit par ôter aux fruits leur suc, et par les rendre insipides. Pour plus de fraîcheur encore, on recouvre en stuc les voûtes, les murailles et même les planchers de ces fruiteries. On voit même certaines personnes y faire dresser des lits pour y prendre leurs repas ; et en effet, quand on est assez riche pour forcer l’art à faire d’une salle à manger une galerie de peintures, pourquoi se refuserait-on la jouissance toute naturelle de contempler, en dînant, une variété de bons fruits, arrangés dans une agréable symétrie ? N’imitons pas toutefois ceux qui, donnant un dîner à la campagne, étalent somptueusement, dans leur fruiterie, la dépouille de tous les marchés de Rome. »

Le néflier, le mûrier, l’arbousier et le fraisier complètent la nomenclature des espèces fruitières cultivées sous les premiers empereurs. On comptait dès lors un grand nombre de variétés dans toutes ces espèces. Cette partie de la civilisation, suivant Pline, était arrivée au plus haut degré, depuis longtemps on ne trouvait plus aucun fruit nouveau. Le prunier, entre autres, comptait une foule immense de variétés. Il en était de même de la vigne, selon Columelle.

Mais Palladius, qui écrivit son livre sur l’agriculture (De re rusticâ) vers le ive siècle de notre ère, se plaignait déjà de la disparition d’un grand nombre de ces fruits. La plupart durent se perdre dans les siècles qui suivirent la chute de la puissance romaine. Les hordes barbares qui se jetèrent sur les débris de cet empire, étaient plus pressées de jouir que de cultiver ; de détruire que de créer.

L’époque de la féodalité, qui suivit ces temps effroyables, ne fut pas meilleure pour la pomologie. Les seigneurs, les chevaliers, sans cesse en lutte avec des voisins, se reposaient sur leurs serfs des soins de la culture. Ceux-ci, dans leur situation précaire, devaient s’occuper avant tout des premiers besoins de la vie ; ils étaient sans doute peu soucieux de procurer des jouissances nouvelles à leurs tyrans.

Mais à côté de ce monde turbulent, des hommes paisibles et laborieux, dans le silence des monastères, dévouaient leurs moments de loisir à la conservation de tout ce qui restait de l’antiquité ; réunis par un lien religieux, ils défrichèrent une grande partie des forêts, et furent les premiers pionniers de l’agriculture.

Autour de leurs cloîtres, attirés par les immunités et les privilèges dont ils jouissaient, on vit les populations s’agglomérer et former de nouveaux centres.

On ne peut douter que les types fruitiers, échappés aux orages des siècles précédents, n’aient été recueillis par les moines, dont le goût pour l’horticulture s’est perpétué jusqu’à leur suppression. On dut conserver également avec soin, les variétés nouvelles que le hasard faisait trouver ou que la nature faisait naître par des semis spontanés. Les anciennes nomenclatures françaises prouvent ces faits, par le grand nombre de fruits portant le nom générique de Bézy ou sauvageon, tels sont les Bézy d’Héri, de Chasse, de Chaumontel. En Belgique, plusieurs de nos meilleurs fruits portent encore le nom des abbayes qui les firent connaître.

Le xve siècle, cette époque si remarquable par les révolutions et les découvertes nouvelles, ne fut pas moins intéressant pour la pomologie. De même qu’autrefois les Romains avaient disséminé, transporté dans toutes les parties de l’ancien monde, les végétaux et les fruits trouvés par eux dans les diverses provinces de leur empire, une mission providentielle analogue, et plus vaste encore, était dévolue aux nations occidentales de l’Europe. Christophe Colomb venait de découvrir l’Amérique ; les peuples navigateurs : Espagnols, Hollandais, Français, Anglais, dirigeaient leurs expéditions de ce côté ; il devait en résulter, pour les modernes, la connaissance complète de toutes les parties du globe, ainsi que l’échange, entre elles, des productions et des divers fruits particuliers à chaque pays, en perfectionnant même ces fruits par leur déplacement. En effet, la culture européenne a amélioré l’ananas, introduit du Mexique vers le xvie siècle, tandis que les États-Unis d’Amérique commencent à nous renvoyer des variétés nouvelles de nos anciennes espèces fruitières.

On peut fixer à la fin du xvie siècle la renaissance de la pomologie ; elle date en réalité des travaux d’Olivier de Serres, qui peut être considéré comme le père de l’agronomie française. Né en 1539, il fut d’abord, comme seigneur de Pradel, mêlé aux guerres civiles de son époque ; fatigué des luttes religieuses, il se réfugia dans le repos de la campagne et le plaisir de cultiver ses domaines. On doit à ces goûts paisibles, le Théâtre d’agriculture et de ménage des champs qui parut vers l’an 1600. Cet ouvrage, d’un immense intérêt pour les contemporains, donnait pour la première fois, depuis les agronomes latins, un code d’instructions rurales ; il remplaçait à la fois Pline, Columelle, Varron et Palladius, dont les œuvres, non traduites, n’étaient guère accessibles qu’aux savants.

La plus grande partie des fruits mentionnés par Olivier de Serres, ne se retrouvent déjà plus dans l’Instruction pour les jardins, de la Quintinie, publiée vers 1680 ; il en reste fort peu qui soient encore admis dans les cultures actuelles ; de ce nombre sont les pommes de Court-Pendu, d’Api, la Pigeonnelle, le Fenouillet, la Calville ; les poires de Doyenné, Rousselet, Épargne, Blanquet, Catillac, Longue-Verte, Bon-Chrétien ; les prunes Reine-Claude, Perdrigon, Isle-Verte, Damas et Sainte-Catherine ; les pêches Madeleine, Rossane, Brugnon Musqué et avant Pêche blanche ; les cerises de Montmorency, la Griotte, le Bigarreau.

Le Jardinier français, petit traité imprimé à Rouen, en 1580, mentionne en outre plus de trois cents variétés de