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INSTRUCTION DES AVEUGLES.

le tissu est très-sensible au tact et sur lesquelles on applique presque toujours les mêmes couleurs. D’un autre côté, les teintures dont on les imprègne peuvent, à raison des divers ingrédiens dont elles se composent, se manifester au toucher ; et cette circonstance, réunie à la première, peut souvent donner à l’aveugle des indices à peu près certains. Ainsi, par exemple, je croyais autrefois que toutes les étoffes de camelot étaient rouges ; et je m’étais figuré, à l’inverse, que les étoffes douces au toucher devaient être blanches ; or, comme ces fausses notions me faisaient quelquefois rencontrer assez juste, on s’imaginait que je discernais réellement les couleurs par le tact.

Il existe encore une question qui n’est point facile à traiter : c’est celle relative à l’idée qu’un aveugle de naissance peut se former du sens de la vue, et à la manière dont il conçoit que ce sens peut faire connaître aux voyans les objets qui sont hors de leur portée. Je me bornerai à dire ce que je pense moi-même à cet égard. Il me semble que les rayons de lumière, partis de chaque point de la surface d’un objet, apportent tous ces points dans l’œil, et les apportent disposés entre eux de la même manière qu’ils le sont dans l’objet ; de sorte que la rétine, en touchant ces points, reconnaît la figure de ce même objet ; et, comme elle connaît aussi les rayons lumineux qui lui présentent cette figure, elle en distingue également la couleur. Il me paraît donc que la rétine est affectée par la lumière, comme l’est la main par l’objet. Peut-être pourrait-on me faire plusieurs difficultés sérieuses à ce sujet, Peut-être même ai-je très-mal rencontré : ce qui n’aurait rien qui dut surprendre, attendu que je n’ai jamais vu ? Mais c’est du moins là la seule manière dont je conçoive que la vue puisse suppléer au tact.

Je pourrais entrer, Monsieur, dans beaucoup d’autres détails sur l’instruction des aveugles, et sur les procédés qu’ils doivent suivre pour enseigner, soit aux voyans, soit à d’autres aveugles. Je pourrais parler de leur caractère, qui influe, peut-être, plus qu’on ne pense, sur leur manière de s’instruire ; des progrès qu’ils peuvent faire dans les diverses branches de nos connaissances ; des jouissances que, malgré