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Rousseau. Il est impossible d’être équitable envers lui, si l’on ne ressent le mystérieux attrait de cette nature extraordinaire ; mais encore faut-il que la froide raison maintienne l’équilibre du jugement et sauvegarde le libre arbitre. Peut-être n’a-t-on pas assez remarqué — et sera-t-il permis à un Neuchâtelois de dire — que les érudits genevois ont su presque toujours se préserver à la fois de l’engoûment sentimental et de l’antipathie farouche qui ont si souvent égaré, en sens contraires, ceux qui prétendaient peindre Jean-Jacques.

On peut dire que la collaboration de Vallette aux Annales eût été plus active et plus suivie si Rousseau l’eût moins absorbé : il concentrait tout son effort sur son grand ouvrage, Jean-Jacques Rousseau genevois, paru à la fin de 1910, et dont la préparation ne lui laissait guère de loisir pour les recherches plus spéciales auxquelles il eût appliqué volontiers sa curiosité pénétrante et sagace. Ce n’est pas à nous qu’est réservée la tâche de parler de cette étude si patiemment conduite[1]. Nous ne voulons ici que rendre hommage au collègue et à l’ami, et donner quelques renseignements sur sa carrière.

Il est issu d’une vieille famille de huguenots cévenols, réfugiée à Chêne lors de la révocation de l’édit de Nantes. Son père était pasteur à Jussy, quand y naquit Charles-Gaspard, le 13 mai 1865. Il dut une bonne part de sa culture à ce père épris des lettres anciennes, qui le stimulait à l’étude et lisait avec lui chaque matin, avant les heures de classe, quelque auteur grec ou latin. Sa mère, née Duvillard, dont ceux qui l’ont connue n’oublieront jamais la bonté simple et profonde, avait aussi un goût très vif pour les lettres, les arts, toutes les choses nobles et belles. Intellectuellement et moralement, Gaspard Vallette avait de qui tenir.

Il fit à Genève d’excellentes études, qu’il couronna par une licence en lettres et une licence en droit. Il s’en fut séjourner ensuite à Munich, puis à Paris. Il adorait voyager, et visita tour à tour, à diverses époques, l’Italie, la Hollande, l’Angleterre. Il collabora de bonne heure au Journal de Genève, à la Gazette de Lausanne, enseigna pendant trois ans (1895-1898) la littérature française au Collège supérieur de Genève. Mais bientôt, repris par le journalisme, il entre comme rédacteur en chef à la Suisse, qui venait de se fonder. Dès ce moment, il devient le fécond critique et chroniqueur dont les lecteurs de nos principaux journaux et re-

  1. Il en donna la primeur aux étudiants neuchâtelois, sous forme de cours, pendant le semestre d’été 1908, où il voulut bien suppléer celui qui écrit ces lignes.