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satisfaire, elle exaspère, elle révolte, elle allume les enthousiasmes et irrite les haines, elle est mère de violence, source d’intransigeance, elle lance les âmes simples qui se livrent à son étrange vertu, dans la poursuite éperdue de l’absolu, d’un absolu qui se réalise aujourd’hui par l’anarchie, et demain par le despotisme social[1].

Ce contraste de l’œuvre et de l’homme, qu’on appellera contradiction, si l’on veut, il ne faut pas essayer de voiler cela : car cela, c’est Rousseau même.

Gustave Lanson.
  1. Changement de point de vue plutôt que contradiction, au fond. Car l’anarchiste n’est-il pas à l’ordinaire un candidat au despotisme ? Jamais on ne vit officier plus indiscipliné que le lieutenant Bonaparte. La même violence de personnalité qui fait qu’on rejette le frein des lois pour soi, mène à imposer, dès qu’on le peut, le frein de sa volonté aux autres, si bien qu’anarchie et despotisme sont peut être moins des absolus contradictoires qui s’excluent que des relations successives qui s’ordonnent fort aisément : la réalisation simultanée même n’est pas impossible. Napoléon faisait des lois et n’en reconnaissait pas, et cela au même instant précis (mort du duc d’Enghien, déchéance des Bourbons d’Espagne, etc.) Et combien de chacals, dans les monarchies constitutionnelles ou les républiques parlementaires, sont toujours portés à se croire lions, et à abolir, dès qu’ils le peuvent, le pacte d’égalité ? Psychologiquement, cette contradiction est le pli naturel de l’étoffe humaine.