plus fort, plus séducteur que ce qui retient, modère ou absout.
Ses déclarations de guerre à la société, ses anathèmes à la propriété et aux riches, sa proclamation des haines de classe, ses appels à la lutte des classes, son âpre accent égalitaire, sa radicale indiscipline, son amour-propre immense jusqu’à l’insociabilité, font une autre impression sur les lecteurs que ses retours de prudence réaliste, ses considérations des possibilités, ses conseils de discrétion ou de résignation et toute sa sagesse d’application. Ce n’est pas uniquement la faute des lecteurs du Discours sur l’inégalité, si on n’y entend pas, dans cette orchestration orageuse des sentiments de révolte, la petite chanson calmante qui dit l’impossibilité du retour à l’état de nature et qui persuade la soumission aux lois. La vraie pensée de Rousseau se dégage pour le critique de sang-froid qui l’étudie patiemment : mais les réactions du lecteur sont plus brusques, plus spontanées, plus rapides. Il ne se forme pas en lui une image réduite et fidèle de l’auteur ; son esprit n’est « impressionné » que par les reliefs accentués et les lueurs fulgurantes.
Le résultat, c’est que l’écrivain est un pauvre homme rêveur et timide qui ne s’approche de l’action qu’avec effroi, en prenant toutes sortes de précautions, et qui entend les applications de ses doctrines les plus audacieuses de façon à rassurer les conservateurs et satisfaire les opportunistes. Mais l’œuvre, elle, se détache de l’auteur, vit de sa vie indépendante, agit par ses propriétés intrinsèques ; et toute chargée d’explosifs révolutionnaires, neutralisant les éléments de modération et de conciliation que Rousseau y a mis pour se