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de vue de la logique pure n’a pas de valeur ici, qu’il faut faire descendre toutes ces questions de la sphère de la logique pure dans le monde de l’âme, et que ce qui, dans l’abstrait, peut être appelé contradiction, replacé dans la vie intérieure, n’a plus rien de contradictoire.

Après tout, ces attitudes d’une âme large et passionnée qui, saisie tour à tour de deux aspects des choses, les affirme successivement avec la même violence, et ne consent pas à sacrifier une réalité a une autre, une vérité à une autre, ne sont-elles pas préférables à l’étroitesse systématique du dialecticien qui ne voit qu’un principe et déroule sa déduction unilatérale sans un regard vers la réalité et la vie ? Les explosions successives de Rousseau illuminent les deux côtés opposés de l’horizon. Il fait ainsi, à sa manière sentimentale, l’équivalent de ce qu’avait fait Pascal dans son affirmation simultanée des contraires, de ce que devait faire Hegel dans sa position de la thèse et de l’antithèse.

Il est vrai que Rousseau ne fait pas d’ordinaire la synthèse, et qu’il ne nous laisse pas toujours le sang-froid nécessaire pour la faire. Et je touche ici à la vraie, à la profonde et ineffaçable contradiction de Rousseau.

Cet homme a un baromètre sentimental d’une délicatesse extrême et dont les variations sont brusques, incessantes, énormes. Tour à tour exalté, déprimé, enthousiaste, haineux, rêveur idyllique ou révolté amer, il envenime ou il enflamme de sa passion toutes ses idées. Mais, naturellement, c’est dans ses reprises de bon sens, dans ses intuitions réparatrices du réel, que le flot de passion s’apaise : il arrive donc par nécessité que chez lui, ce qui lutte, ce qui condamne, ce qui dénonce, ce qui indigne et soulève, est incomparablement