Page:Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, tome 8.djvu/34

Cette page n’a pas encore été corrigée

en prendre tout ou rien[1] : ce tout, c’est l’esprit, qui dispense de la lettre. Il ne faut pas choisir dans l’Emile une pratique singulière pour défier la routine des contemporains et se donner un renom de hardiesse et de liberté. Il ne faut pas en transporter servilement le détail dans la pratique. Il faut y saisir une conception du but de l’éducation, du rôle de l’éducateur, de la nature de l’enfant, et marcher librement, en adaptant la méthode aux données réelles, en faisant ce qui est possible selon la position de la famille, ses obligations et les circonstances.

De là, quand il s’agit de politique, l’attention de Rousseau à tenir compte de tout le passé et de tout le présent des Corses et des Polonais, des institutions, des mœurs, de l’esprit des deux nations. Il ne brusque rien, il ne bouleverse rien ; il cherche les moyens de redresser doucement toutes les parties de la constitution et toutes les formes de la vie de chaque peuple. Il est le moins révolutionnaire des hommes.

Ce qu’on appelle ses rétractations, c’est sa persuasion que la politique idéaliste n’est pas aisée à réaliser ; que le Contrat social est très difficilement réalisable dans une vieille et grande monarchie comme la France, moins difficilement, mais difficilement encore dans une petite cité républicaine comme Genève. On se moquerait de lui s’il avait cru qu’il suffit de promulguer la démocratie rationnelle pour la faire exister : on lui jette la pierre pour avoir vu l’abîme qui sépare la théorie de la pratique. Et on appelle rétractation les cris de désespoir qu’il a poussés quand il a vu les Genevois substi-

  1. Lettre à l’abbé M., Corr., édit. Lefèvre, t. II. 559.