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vie ordinaire. Emile coupe pour ainsi dire les deux plans : il s’attache à la réalité par la considération du monde et des collèges, d’où se tire la nécessité de l’isolement, et cet isolement obtenu, l’éducation se développe dans l’idéal. Ces différences de structure et de dessein commandent des différences d’attitude en face des problèmes moraux et sociaux : mais au travers de ces différences, la tendance caractéristique de Rousseau se maintient.

L’incompatibilité générale qu’on établit entre le socialisme autoritaire du Contrat et l’individualisme anarchique des autres œuvres, n’est qu’un choc de formules. Si l’on repasse de la logique à la vie, la contradiction s’efface. Rousseau est individualiste, réclame violemment les droits de l’individu, dénonce avec une éloquence virulente l’injustice tyrannique des lois et des gouvernements. Mais le même Rousseau sait bien qu’il faut vivre en société, qu’il faut être d’une nation, d’une patrie, obéir à une autorité, à des règlements. Il se révolte contre l’organisation sociale qui a toujours livré une multitude d’opprimés à la discrétion d’un petit nombre d’oppresseurs, et il cherche les moyens d’instituer une organisation sociale dans laquelle il n’y aura plus ni opprimés ni oppresseurs. Tour à tour il s’enivre de sa colère et il s’enchante de son rêve. Qu’y a-t-il là de réellement contradictoire ?

L’antinomie de la liberté et de l’égalité — cheval de bataille, pour ne pas dire dada, de certains critiques — n’est réelle que si on considère les forts. L’égalité de tous restreint la liberté de quelques-uns, les forts, ceux à qui la liberté illimitée donne des chances illimitées de succès ou de jouissance. Mais si on considère les