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nant par elles-mêmes, m’a rendu toujours paresseux à faire, par trop d’ardeur à désirer.

J’atteignis ainsi ma seizième année, inquiet, mécontent de tout et de moi, sans goûts de mon état, sans plaisirs de mon âge, dévoré de désirs dont j’ignorois l’objet, soupirant sans motifs de tristesse, pleurant sans savoir de quoi, enfin caressant tendrement mes chimères, faute de rien voir autour de moi qui les valût, Les Dimanches, mes camarades venoient me chercher après le prêche pour aller promener et m’ébattre avec eux. Je leur aurois volontiers échappé, si j’avois pu ; mais une fois en train dans leurs jeux, j’étois plus ardent et [62] j’allois plus loin que les autres. Difficile à [1]émouvoir et à retenir, j’étois comme ces lourdes masses que rien n’arrête plus quand une fois elles sont ébranlées. Dans nos promenades hors de la ville, j’allois toujours en avant sans songer au retour. J’y fus pris deux fois ; les portes furent fermées avant que je pusse rentrer. Le lendemain mon maître me traita comme on s’imagine, et la seconde fois il me promit un tel accueil pour la troisième que je résolus de ne m’y pas exposer. Cette troisième fois si redoutable vint pourtant. Ma vigilance fut mise en défaut par un maudit Capitaine, appelé M. Minutoli, qui fermoit toujours la porte où il étoit de garde une demi-heure avant les autres ; il s’amusoit à faire coucher dehors les promeneurs ; on le savoit, mais on ne savoit pas toujours le jour et la porte où il[2] les attendoit. Un malheureux Dimanche[3], au commencement du printemps, séduits par le beau

  1. ébranler.
  2. étoit de garde.
  3. 14 mars 1728.