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veillé chez lui des idées de religion et de piété. Notre confiance, notre union étaient la même les idées nouvelles, depuis plus d’un an, n’avaient pas apporté de gêne au contraire, nous étions plus heureux. A mon retour ici, je l’ai trouvé plus sérieux les soins qu’il rend à sa mère m’ont mis dans le cas de le voir peu, et presque toujours avec du monde. Enfin son ami me dit qu’il devenait sublime et qu’il allait être entre les mains d’un grand faiseur. Peu de jours après, l’ami nous ayant laissés seuls, je vis son visage prendre l’air austère, son esprit cherchant tous les lieux communs pour fournir à la conversation. Je lui demandai s’il souffrait on me dit que non en levant le siège. Je ne le rappelai pas, mon voisin, je n’en avais plus le courage. J’ai resté bien des jours occupée de lui cacher ma douleur tant il m’était douloureux de troubler son âme. A la fin, mon changement, ma santé lui ont fait deviner ma frayeur. Soit pitié, soit amitié, on m’a promis de ne me pas fuir et de ne rien changer à notre façon de vivre. Je le verrai, c’est ma vie. Il ne me faut rien de plus que votre amitié, avec une petite assurance que vous n’êtes pas fâché du détail que je viens de vous faire »[1].

La voilà avouée la cause du long silence, dans cette lettre sur laquelle plane l’ombre de la tristesse. C’est le cri de désespoir de l’amante qui retrace la scène éternelle de l’abandon. Qu’ils sont loin les jours enivrés où Margency, saluant l’aube de l’amour, écrivait en 1754 :

Ecoutez-moi nymphe craintive
L’amant que vos yeux ont blessé
Fait entendre sa voix plaintive
Ne sera-t-il point exaucé ?[2].

  1. Correspondance générale. T. V. p. 43.
  2. Vers de Margency. Correspondance littéraire de Grimm. T. II, p. 388.