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price des hommes : qu’on ne doit rien à son prochain, qu’il n’y a pas même de prochain ; & delà il a été aisé de conclure que la race humaine est une race de tigres errants à l’avanture, dont le plus fort doit déchirer le plus foible, pour peu qu’il y trouve son intérêt.

Tel est le précis des abominables maximes répandues dans certains Romans nouveaux qui ont infecté ce pays, & qui n’ont été tus que pour ces maximes mêmes, dont l’horrible nouveauté a excité la curiosité de quelques jeunes gens. On les a lus comme on va voir des monstres ; le premier aspect saisit d’horreur, mais bientôt on s’y accoutume, & enfin, ceux qui sont nés avec des inclinations perverses puisent dans ces livres la justification de leurs détestables penchants. Dès qu’on s’est familiarisé avec l’idée que tout est égal, idée destructive des lois, idée qui produit l’anarchie, on finit par se persuader que la subordination dégrade l’homme, qu’il n’y a plus de différence entre le Magistrat & l’artisan, entre le juge & le coupable, entre le vice & la vertu. Une fatale licence s’empare des esprits ; plus de frein, plus de loix, on avilit les gardiens de la sureté publique.

Il restoit la voix de la religion que les ministres du Seigneur faisoient entendre, on étouffe cette voix en tournant ses organes en ridicule. On imprime qu’ils ne savent ni ce qu’ils disent, ni ce qu’ils font. ni ce qu’ils croyent, ni ce qu’ils font semblant de croire.

Certes l’auteur de tant de pernicieux écrits est plus empoisonneur que celui qui a fait périr par l’arsenic sa maîtresse & son fils. Il n’a fait qu’un crime, mais l’auteur est coupable de tous les crimes qui se commettront.

Ceux qui le liront diront avec lui, je suis un être solitaire, personne ne me doit rien, & je ne dois rien à personne. Je suis mon maitre, mon magistrat, mon Dieu ; je puis me défaire sans remords de tout être qui nuit à mon repos, comme on écrase un insecte qui importune.