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institutions chymiques

faudroit de toutte necessité admettre l’infinité des pores avec laquelle Zenon auroit beau jeu à leur prouver qu’il n’y a pas un pouce de matière dans (11) l’univers.

On convient donc à peu prés sur la notion de ces principes ou Elémens des Corps : Mais quels sont ils et en quelle quantité spécifique ? C’est le sujet d’un grand problême qui tourmente les Physiciens et les Chymistes depuis bien des siécles. Talés n’admettoit qu’un principe ; c’étoit l’eau. Démocrite n’en admettoit qu’un non plus, c’étoit la terre ou les atomes. Aristote en trouvoit quatre, deux secs, la terre et le feu ; deux humides, l’eau et l’air. Anaxagore en vouloit autant qu’il y a de différens corps, soutenant, par exemple que les principes de l’or étoient de petits corpuscules aurifiques. Descartes admet trois principes qu’il distingue par leur grandeur et par leur figure. Les Chymistes sont venus à leur tour ; Paracelse compte aussi trois principes, le sel, l’huile, le mercure ou l’esprit. Willis[1] a trouvé qu’ils ne suffisoient pas et y en a ajouté deux autres ; savoir l’eau et la terre, qu’il a appellés principes passifs, donnant aux trois premiers le nom de principes actifs, comme si toutte matiére n’étoit pas passive par elle même et qu’elle put communiquer le mouvement sans l’avoir reccu. Ces principes n’ont point plu a Vanhelmont[2], qui y a substitué je ne sais quels Archées (12) beaucoup moins raisonnables et beaucoup plus obscurs, ainsi, comme dit Beccher, non tam insaniam quam insaniæ genus mutavit. Tachenius[3] ne reconnoît pour principes que l’acide et l’Alkali ; enfin chacun s’est fait des principes à sa mode, et en a formé la nature comme il a pu.

Il faut d’abord commencer par congedier les philosophes et leurs belles Hypothèses. Ce n’est pas en batissant des sistémes dans son cabinet qu’on connoitra la nature ; et les

  1. Thomas Willis, médecin et naturaliste anglais, 1622-1675.
  2. Jean-Baptiste Van Helmont, 1577-1644.
  3. Otto Tachenius, médecin et alchimiste allemand, mort vers 1670.